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préoccupations littéraires, il compose et remanie ses ouvrages en vue de l’opéra français, et, — circonstance dont semblent ne point se souvenir assez ceux qui s’empressent d’aller si éperdument attribuer à l’invention d’un étranger un art qui ne serait que le très naturel résultat de notre théorie nationale en fait de déclamation, — l’opéra de Gluck n’est en somme que notre tragédie classique ornée de chants. De 1683 à 1764, Lully, Rameau, avaient déjà tracé la voie » et l’auteur d’Orphée, arrivant à Paris, y trouvait aussitôt l’atmosphère la plus favorable à ses idées, et recevait du génie même de notre langue ces traditions qui plus tard furent l’héritage des Méhul, des Cherubini, des Spontini, en un mot de tous les maîtres d’une école où Rossini avec Guillaume Tell, Meyerbeer avec les Huguenots, sont venus à leur tour se faire inscrire.

Il se peut que ce que je vais dire ne plaise pas à tout le monde ; on aurait tort cependant de n’en point prendre son parti comme d’une de ces vérités contre lesquelles la mauvaise humeur des gens reste sans effet. Notre théâtre a de tout temps mené l’Europe ; depuis l’époque des mystères jusqu’au siècle de Louis XIV, de Racine et Molière à Voltaire, à Beaumarchais, de Scribe à Victor Hugo, à Dumas fils, la scène étrangère, du nord au midi, a vécu aux dépens de notre littérature dramatique. On nous critique, on nous calomnie, on nous insulte ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de se passer de nous, et que, sans manquer de respect à ces grandes individualités qui se nomment Goethe et Schiller, et dont personne assurément plus que nous ne professe le culte, on peut soutenir qu’à Vienne comme à Saint-Pétersbourg, à Londres comme à Berlin, comme à Florence, il n’est au théâtre de bonne fête où notre art ne soit convoqué. Eh bien ! ce droit acquis de tout temps à notre scène littéraire, nous entendons qu’il appartient également à notre scène d’opéra. Les Italiens ont la cantilène plus facile, les Allemands sont des symphonistes-nés, sur le terrain de la musique absolue ils nous battront toujours, mais nous seuls en France comprenons le drame lyrique, nous seuls possédons et le sentiment et la tradition de l’opéra moderne, et celui-là que le public français aura décidément répudié ne sera jamais un homme de théâtre. Que vient-on nous parler toujours de la théorie de Gluck, à nous qui l’avons inventée et qui n’avons cessé d’en applaudir la pratique, tantôt dans le Joseph de Méhul, tantôt dans la Vestale de Spontini ou dans la Médée de Cherubini ! Les doctrines que vous nous prêchez sont les nôtres, et ce n’est pas d’hier, vous le voyez, puisqu’elles datent de Lully et de Rameau. Dites qu’on a trop souvent négligé d’en tenir compte, mais ne prétendez pas qu’elles vous appartiennent, car il n’est pas un ouvrage du répertoire français, à commencer par la Muette, à finir