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Boileau « à faire difficilement des vers faciles. » Le grand point, lorsqu’on se mêle de composer des opéras, c’est d’être un musicien de théâtre ; ayez d’abord ce don, et tout le reste vous viendra par surcroît, selon les milieux et les circonstances. Les théories peuvent naître, loin de vous énerver, elles vous retremperont, car vous aurez pour votre sauvegarde les acquisitions de l’expérience et ce discernement des forts esprits habitués à produire dans la plénitude de leur liberté. Quand les Verdi s’approchent d’un système, ils savent tout de suite ce qu’il faut en prendre et en laisser, et ne risquent jamais de lâcher la proie pour l’ombre. Laissons l’avenir pourvoir à ses besoins, qu’il comprendra sans nul doute beaucoup mieux que nous ne saurions faire, et tâchons de nous contenter du glorieux héritage du passé et de la riche moisson du présent. D’ailleurs le beau est un et se moque bien des systèmes ; lorsqu’il arrive à M. Richard Wagner de réussir, c’est en composant comme les grands modèles ; la marche de Tannhäuser, le chant nuptial de Lohengrin, pourraient être de l’auteur d’Euryanthe ou de l’auteur du Prophète, Quant à ces fameuses sonorités dont les effets sont tant prônés, il n’y a rien là non plus qui ne soit dans Beethoven, dans Weber, dans Schumann, dans Berlioz et dans Meyerbeer.

J’ai posé la question ; la résoudre, je n’oserais : on n’aurait qu’à m’appeler rossiniste ou verdiste ; mieux vaut s’en remettre à l’observation d’un esprit très clairvoyant et très modéré. « Personne n’ignore, écrit M. Ambros, ce que fut pour l’opéra la période qui précéda 1850. Au plein de cette période de perturbation, d’affaissement et de perdition, Wagner éclate comme un orage. Que sera cet orage ? S’il purifiera, éclaircira l’atmosphère, ou si, comme c’est le cas trop fréquent, il ne nous amènera que du mauvais temps, nul ne saurait le dire ; toujours est-il que, si les principes de Wagner devaient prévaloir, s’ils devaient être généralement reconnus, adoptés comme des lois dans l’art, autant vaudrait s’écrier tout de suite : Finis musicœ ! »


III

La fin de la musique, et pourquoi pas ? Cette idée-là m’a souvent préoccupé. De Bach à Rossini, à Schumann, à Meyerbeer, à Verdi, combien de temps s’est-il écoulé ? Environ un siècle et demi, à peu près le même espace qu’a pris la statuaire grecque pour atteindre à ce suprême épanouissement qui prélude à sa décroissance. Avec Lysippe, la statuaire grecque semble avoir dit son dernier mot, la force productive est tarie, elle meurt pour revivre à travers les