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âges voués à l’éternelle adoration de ses types, toujours et partout copiés, imités, renouvelés selon le génie de l’époque et du climat mais toujours et partout la perfection désespérante, l’idéal achevé ; à ce travail d’incomparable efflorescence auront suffi cent cinquante ans. La carrière de Phidias embrasse la période qui s’étend du commencement de la lutte avec les Perses au début de la guerre fratricide du Péloponèse (490-431). À ces cinquante ou soixante années de culture inouïe, d’autres succèdent encore splendides ; après la trinité Phidias, Polyclète et Myron, voici venir la trinité Scopas, Praxitèle et Lysippe, et quand s’ouvre l’ère macédonienne d’Alexandre, l’art hellénique a déjà levé le plus beau de son tribut. Interrogeons maintenant l’âge moderne et suivons-y les destinées de la musique de 1750 à 1868 ; entre ces deux dates, la grande fête se déploie. Opéra, musique de chambre, symphonie, cent chefs-d’œuvre éclatent coup sur coup ; tous les genres sont abordés et presque aussitôt poussés à leur extrême puissance. Quels maîtres et quels ouvriers ! Voyez-les à leur tâche ; vous croiriez qu’ils ont pris pour devise ce vers d’une célèbre comédie :

A la postérité ne laissons rien à dire.

C’est une fulguration, la voie lactée ! Mozart ; se multiplie ; avec les Noces de Figaro et Cosi fan tutte, il donne le ton à l’opéra comique de Nicole, de Boïeldieu, d’Hérold et d’Auber. Idoménée ouvre à Spontini de fraîches sources ignorées de Gluck, la Flûte enchantée réalise d’idéal d’un oratorio-féerie, et Don Juan, « l’opéra des opéras, » plongeant ses perspectives dans le ciel et dans l’enfer, mystère et drame à la fois comme Faust, nous représente la vie et le train du monde en quelques caractères qu’on dirait tracés par Shakspeare. Que d’élémens nouveaux introduits ainsi dans la musique par un simple musicien sans philosophie et sans esthétique, de motifs dont Beethoven ne demande qu’à s’emparer ! Les aspirations inassouvies, les désespoirs, les doutes, les révoltes de l’homme moderne, les compassions infinies, les plaintes étouffées, les cris d’angoisse et de volupté, les remords, les deuils, les frénésies du siècle de l’Héloïse et de Werther, de la période de René, de Manfred, d’Obermann, tout cela, les sonates, les symphonies vous le traduiront.

Comme la Grèce antique fut le sol de la statuaire, notre atmosphère à nous a produit la musique, qui s’est inspirée du philosophisme romantique ambiant, comme jadis aux fêtes de Neptune, à Eleusis, un Praxitèle s’inspirait de Phryné en voyant la splendide hétaïre jeter bas ses vêtemens et, ses cheveux dénoués sur