Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais non sans danger. Cette neutralité, qui valait pour lui une alliance, le dictateur paraguayen ne sut pas la respecter : il fit passer son armée sur le territoire argentin de la province de Corrientes pour envahir plus rapidement celle de Rio-Grande, demandant bien à Buenos-Ayres le droit de passage, mais sans attendre la réponse et faisant ensuite de la réponse négative un casus belli. Ce premier acte de violence, l’occupation de la ville même de Corrientes sans déclaration de guerre, une razzia de 200,000 bêtes à cornes dans cette province, forcèrent la république argentine d’accepter l’alliance déjà proposée par le Brésil.

Tels furent les antécédens du traité du 1er mai 1865, qui, rapprochant les républiques de la Plata de l’empire du Brésil, rompait la tradition historique du continent sud-américain, unissait pour la première fois dans un intérêt commun les Portugais et les Espagnols, toujours en guerre depuis 1701 jusqu’en 1828, et restés depuis dans un état d’hostilité sourde. L’agression de Lopez suffit néanmoins à excuser la république argentine d’avoir signé ce traité, qui installait le Brésil armé au centre des fleuves qu’il n’a cessé de convoiter. C’est à tort aussi qu’on a accusé les républiques de la Plata de s’être alliées à un empire pour écraser une autre république ; la vérité est que le système républicain n’a jamais existé au Paraguay que de nom, il n’y avait là ni citoyens, ni constitution, ni institutions républicaines, ni lois votées et respectées, toutes ces garanties des peuples libres étaient remplacées par la volonté capricieuse et déréglée d’un homme exerçant une puissance invraisemblable sur un peuple préparé de longue main pour cet abaissement politique et moral. De son côté, le Brésil, pour être un empire, n’est pas le domaine du despotisme et de la tyrannie ; bien au contraire, depuis un demi-siècle que la monarchie constitutionnelle est établie au Brésil, cet empire a été à l’abri de ces débauches de dictature qu’a subies à son heure chacune des trois républiques de la Plata ; il est juste aussi de rappeler que les seules fois que les armées de dom Pedro II aient eu à combattre côte à côte avec les milices républicaines, c’était en 1852 pour les aider à renverser Oribe à Montevideo et son allié Rosas à Buenos-Ayres, et en 1865 dans la guerre contre le dictateur Solano Lopez.

Nécessité ou faute politique, le mal était fait, et au milieu des sacrifices de tout genre que lui imposait une guerre qui allait lui coûter 150,000 hommes et 1 milliard, le Brésil pouvait peut-être entrevoir la réalisation lointaine du rêve d’agrandissement qui a toujours préoccupé ses gouvernans. Envelopper dans l’enceinte immense de l’Amazone, du Paranà, du Paraguay et de la Plata un empire aussi riche par le nombre que par la variété de ses