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autorisées, et qu’ils en subirent la surveillance. On sait aussi que les exagérations de Tertullien y obtinrent peu de crédit, et que ses doctrines y furent si mal reçues, qu’on accusa plus tard les tracasseries du clergé romain de l’avoir jeté dans l’hérésie. — C’est de cette disposition d’esprit que devait naître l’alliance de la doctrine nouvelle avec l’art ancien.

Pour la sculpture et la peinture, l’accord s’était fait de bonne heure et sans soulever, à ce qu’il semble, beaucoup de résistances. Le soin qu’on avait des sépultures et le désir de les orner rendit les chrétiens moins difficiles. On est fort surpris de trouver dans les catacombes de grands sarcophages de marbre décorés de motifs profanes et de scènes mythologiques. Il est vrai qu’ils ne pouvaient pas être travaillés sur place, et l’on a fait remarquer que, comme tout le monde pouvait les voir dans les ateliers de Rome où on les sculptait, il était plus difficile d’y traiter des sujets religieux ; mais les fresques elles-mêmes, quoique exécutées dans les galeries intérieures, loin des yeux infidèles, ne sont pas toujours entièrement chrétiennes. Les artistes ne répugnaient pas à emprunter à l’art païen quelques-uns de ses types les. plus purs qui pouvaient allégoriquement s’appliquer à la religion nouvelle, et personne n’en était choqué. On sait que le bon pasteur est imité du Mercure Criophore, ce qui ne l’a pas empêché de devenir l’une des figures sous lesquelles l’imagination chrétienne aimait le plus à se représenter le Christ[1]. Dans le cimetière de Domitilla, on trouve une admirable peinture d’Orphée jouant de la lyre, qui est évidemment l’imitation d’une œuvre antique ; c’est encore une image du Christ qui, par sa prédication, attire les âmes à sa doctrine. Ces ouvrages, qui sont païens par leur origine, le sont aussi très souvent par les détails et l’exécution ; tout y révèle une main exercée, ils ont pour auteurs des artistes élevés dans l’étude des chefs-d’œuvre antiques, et qui avaient passé leur jeunesse à les admirer et à les copier. Devenus chrétiens, ils les admiraient encore, et ils continuaient même quelquefois à les reproduire. Après avoir peint pour les catacombes l’image du bon pasteur ou ces belles figures d’orantes, si nobles et si pures, ils ne croyaient pas commettre un grand crime en dessinant les scènes gracieuses de la mythologie, qui avaient

  1. Dans les actes du martyre de sainte Perpétue, il est dit qu’elle eut une vision, qu’elle vit un jardin immense, et dans ce jardin un homme en habit de pasteur. C’étaient le Christ et le paradis. M. de Rossi, dans sa Rome souterraine, a traité en détail toutes les questions qui concernent les origines de l’art chrétien. Ceux qui ne pourront pas recourir à l’ouvrage même de M. de Rossi peuvent consulter l’abrégé qui en a été fait par MM. Northcote et Brownlow. Cet ouvrage a été traduit en français par M. Allard, et la seconde édition en a paru cette année même.