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C’est à Rome surtout que ces transactions et cette alliance devaient trouver beaucoup de partisans. Le christianisme oriental participe du génie des Grecs, il est subtil et raffiné, plus libre dans son allure, plus audacieux et plus original dans ses recherches ; en Occident, la nouvelle doctrine a pris les qualités de la race romaine : elle est devenue plus amie de l’ordre, de la discipline, de l’autorité. La première fois que l’église de Rome prend la parole, dans l’épître de saint Clément, elle fait entendre un appel pressant à la concorde et à l’unité. « Pourquoi, dit-elle, les discussions, les luttes, les schismes éclatent-ils entre nous ? N’avons-nous pas le même Christ et le même Dieu ? Pourquoi partager et déchirer les membres du Christ ? .. Considérez les soldats qui sont rangés sous les drapeaux, avec quel ordre, qu’elle obéissance, quelle soumission ils accomplissent ce qu’on leur commande ! Comme chacun reste à son rang et écoute la voix de ses chefs ! » Voilà l’idéal que cette église aura toujours devant les yeux[1]. De plus, la communauté romaine a été de bonne heure riche et puissante. Elle possédait de grandes réserves d’argent, d’immenses sépultures qu’il fallait entretenir et accroître, tout un personnel de prêtres et de diacres à diriger. Aussi demandait-elle surtout aux évêques qu’elle choisissait des qualités d’administration et de gouvernement. Ne la voyons-nous pas, dans des circonstances graves, à la veille d’une persécution, élever sur la chaire de saint Pierre un ancien banquier, l’affranchi Calliste ? C’est ce qui fait que cette grande église n’a peut-être pas compté parmi ses évêques autant d’écrivains illustres et de savans théologiens qu’Antioche et Alexandrie ; en revanche, elle a eu plus de véritables « pasteurs de peuple » qui ont jeté moins d’éclat, mais ont rendu plus de services. Ces gens sages, modérés, habiles, étaient disposés à tout faire pour ne pas inquiéter le pouvoir civil. M. de Rossi a montré que, pour conserver la propriété de leurs cimetières, ils se soumirent aux exigences de la loi, qu’ils consentirent à être inscrits sur les registres de la police, comme toutes les associations

  1. Le besoin d’union et de discipline était si fort chez les Romains, que même dans la philosophie, qui vit de discussions, où la vigueur et la vie se manifestent précisément par la multiplicité des sectes différentes, ils ne pouvaient pas souffrir cette diversité d’opinions. Quand ils venaient à Athènes, où toutes les doctrines se disputaient à plaisir, ils étaient affligés de voir qu’elles ne pouvaient pas s’entendre. Cicéron raconte qu’un proconsul eut l’idée de faire cesser cet état fâcheux. Il réunit les chefs des diverses écoles et leur offrit naïvement ses bons offices pour les mettre d’accord. Ce moyen administratif de rétablir l’unité fut employé plus tard par l’empereur Constance. Fâché de voir que les pères du concile de Rimini n’arrivaient pas à s’entendre, il envoya l’ordre à son préfet Taurus de ne pas les laisser partir qu’ils ne se fussent accordés, et lui promit le consulat s’il y réussissait. Le plus curieux, c’est qu’il y réussit.