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une révolution politique, comme dans toutes les affaires de la vie, est le moment du départ. De cette littérature de la restauration à son premier essor, on peut dire qu’elle a été une sorte d’agrandissement de l’intelligence française excitée à toutes les conquêtes, impatiente de s’étendre dans tous les sens, de chercher partout des élémens nouveaux d’inspiration et d’étude. Ainsi il n’est point douteux qu’un de ces élémens nouveaux pour la poésie est le sentiment de la nature, d’une nature réelle et vivante retrouvée à travers les banalités descriptives et les peintures artificielles. Ce sentiment plus direct, plus profond, n’est point, je le sais bien, une révélation soudaine éclatant à l’improviste ; il a passé déjà dans les pages de Jean-Jacques, de Bernardin de Saint-Pierre, il a été recueilli et fécondé par Chateaubriand, il devient bientôt comme une faculté définitivement reconquise, comme la force inspiratrice de tout un art nouveau. La nature n’est plus désormais une mythologie surannée, elle est contemplée pour elle-même et ressaisie dans sa vérité, dans ses paysages, dans sa mystérieuse puissance. L’imagination moderne s’est imprégnée des beautés terrestres. Une autre conquête, c’est ce monde intérieur de l’âme humaine avec ses émotions, ses mélancolies et ses doutes curieusement interrogés, reproduits par la poésie, par le roman, par une physiologie passionnée et savante. Et ce qui est vrai de la poésie, de l’imagination, ne l’est pas moins de l’histoire, de la philosophie, de la critique elle-même, qui à leur tour poursuivent leurs conquêtes dans d’autres directions, qui ouvrent à l’intelligence française des horizons nouveaux par une interprétation plus large et plus hardie des idées et des faits, des révolutions morales et politiques, par une étude plus libre du passé, des diverses époques, du moyen âge, de l’antiquité, des littératures, des religions, des génies étrangers.

Rassemblez ces traits essentiels : c’est cette littérature de la restauration dans son essence première, dans ce qu’elle a eu de sérieux, d’original et de fécond. C’est cette littérature brillante, conquérante, image d’une société où se rencontrent comme des courans divers les souvenirs de la révolution française et les fascinations survivantes de l’empire, les derniers souffles du XVIIIe siècle et les retours religieux ou spiritualistes, la passion de la nouveauté et les traditions renouées de la monarchie, le goût des arts et les émotions de la politique.

Epoque privilégiée et heureuse après tout, où jusque dans la diffusion des idées, des inspirations et des talens éclate un même esprit, ou, si l’on veut, une même passion. Le mouvement une fois commencé ne s’interrompt plus, il va en s’étendant et en s’exagérant ou en se troublant jusqu’après 1830. — Ici, la poésie se déploie dans son originalité nouvelle, — harmonieuse et enchanteresse avec