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fenêtres de son appartement. Là on discutait sur la rime, ou bien on écoutait la lecture de Marion Delorme. Parfois Sainte-Beuve était appelé à payer son écot. « Contraint de s’exécuter, mais confus d’occuper de lui, raconte le témoin de la vie de Victor Hugo, il recommandait à la petite Léopoldine ou au gros Chariot de faire du bruit pendant qu’il parlerait ; mais ils se gardaient bien d’obéir, et on entendait les beaux vers de Joseph Delorme et des Consolations. »

Ces inspirations poétiques, auxquelles je reviendrai tout à l’heure, ne furent pas le seul résultat littéraire de cette amitié si tendre. Toutes les fois que Sainte-Beuve a passé par l’influence d’un milieu nouveau, le critique perpétuellement éveillé en lui a recueilli des aperçus dont il a fait son profit. Ce fut en cette même année 1827 qu’il commença résolument au Globe ce qu’il a appelé sa « campagne romantique. » Il y avait eu partage jusque-là, parmi les rédacteurs du Globe, sur la grande querelle littéraire du jour. Sainte-Beuve, dès le début, avait penché du côté des novateurs ; mais c’est à partir de 1827 qu’il se met décidément de leur bord, et qu’il devient leur critique en titre. Pendant plusieurs années, il se prête à eux, pour employer ses propres expressions ; il est auprès du public l’introducteur de leurs ouvrages ; il fait à côté d’eux la critique de leur méthode ; il est l’exécuteur docile de leurs commandemens ou de leurs rancunes, qu’il s’agisse de déprécier Jean-Baptiste Rousseau, ou d’exalter Lebrun-Pindare. Il entreprend surtout une tâche plus difficile, celle de découvrir dans notre littérature ancienne les aïeux des romantiques, de dresser leur arbre généalogique et d’établir qu’ils avaient retrouvé la véritable tradition de notre poésie, dont les classiques se seraient écartés les premiers. C’est le but qu’il se proposa en publiant le Tableau de la Poésie française au seizième siècle, qui est son premier travail de longue haleine.

Cet ouvrage, qui fit du bruit autrefois, a aujourd’hui un peu vieilli dans quelques-unes de ses parties. Un certain effort d’imagination est en effet nécessaire pour bien comprendre tout ce que la tentative de réhabiliter Ronsard et son école avait, en 1828, de hardi et presque d’agressif. Aucune époque n’a offert le spectacle d’une liberté, pour ne pas dire d’une anarchie comparable à celle qui règne aujourd’hui dans la république des lettres. Toute la génération dont l’esprit est ouvert depuis quinze ou vingt ans aux impressions littéraires demeure profondément indifférente à toutes les questions de genre et d’école ; ce qu’elle demande, ce sont des sensations, et pourvu qu’elle les éprouve, peu lui importe par quels procédés ces sensations lui arrivent. Jamais le pédantisme n’a exercé moins d’empire, jamais les auteurs n’ont eu le droit d’en prendre plus à leur