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de juillet, et il y aurait beaucoup à dire à ce sujet dans un sens et dans l’autre ; mais une chose est hors de contestation, c’est l’enthousiasme qu’elle excita chez tout ce qui avait à cette époque l’esprit jeune et ouvert. Plus fidèle à ses inimitiés qu’à ses affections, Sainte-Beuve s’est toujours montré sévère pour la restauration. Il l’a jugée durement, presque injurieusement au lendemain de sa chute, et trente ans plus tard il parlait encore « de l’incorrigibilité finale des légitimités caduques et déchues, de leur incompatibilité radicale avec les modernes élémens de la société, et de leur impuissance, une fois déracinées, à se transplanter et à renaître. » Lorsque la restauration était encore debout, Sainte-Beuve n’était pas tout à fait aussi sévère à son endroit, et ses lettres à l’abbé Barbe ne témoignent nullement d’un parti-pris d’hostilité. Sous le ministère Martignac, il souffrait que M. Jouffroy sollicitât pour lui une chaire à la faculté de Besançon, et il annonçait l’intention d’accepter, si l’affaire réussissait, « ne fût-ce que pour ne pas désobliger M. Jouffroy. » L’arrivée du prince de Polignac aux affaires n’eut même pas pour résultat de le jeter dans les voies d’une opposition plus vive, et il se bornait à souhaiter « l’avènement d’un ministère le plus modéré et le plus royaliste possible qui sanctionnât la fusion si désirée entre la charte et la dynastie. »

Tout cela n’a rien assurément que de fort honorable ; mais ce que Sainte-Beuve ne s’est jamais soucié d’avouer, ce que sa correspondance avec l’abbé Barbe nous apprend, c’est qu’à cette date il fut sur le point d’être nommé, par le prince de Polignac, secrétaire d’ambassade. Il devait accompagner, en cette qualité, M. de Lamartine, qu’on se proposait d’envoyer en Grèce comme ambassadeur. Ce dessein prit assez de consistance pour que Mme Sainte-Beuve, retenue à Paris par la seule présence de son fils, achetât à Boulogne une petite maison où elle comptait passer le temps de son absence. Sainte-Beuve a raillé plus tard M. de Lamartine « sollicitant une ambassade du prince de Polignac et revenant enchanté de l’audience du prince. » Il n’a pas dit que lui-même attendait avec anxiété l’issue de cette audience, de laquelle dépendait son propre sort, et qu’il sortait probablement tout aussi enchanté de celle que lui avait accordée M. de Lamartine. Il y aurait eu peut-être quelque bonne foi à en convenir et à se montrer plus indulgent pour la restauration après avoir ainsi donné cette demi-adhésion à sa politique ; mais Sainte-Beuve n’a jamais poussé bien loin le respect des vaincus. C’est au reste une justice à lui rendre que le gouvernement de juillet, sauf un court intervalle durant lequel il a paru s’en rapprocher, ne l’a pas trouvé plus bienveillant, ni au moment de son avènement, ni après la catastrophe finale. Une grande âpreté contre le nouveau