Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorte de cette phase rêveuse, mystique, sincèrement chrétienne et catholique de désir et d’espérance, dont les Consolations marquent le début, et les deux premiers volumes de Port-Royal le déclin.

Au surplus, si la lecture même ne laissait apercevoir le lien qui rattache Volupté à Port-Royal, malgré la dissemblance des sujets, si les dissertations sur les effets de la grâce et les considérations sur la doctrine de saint Augustin n’y tenaient une place que les études préliminaires de Sainte-Beuve permettaient seules de leur donner, si quelques pages émues consacrées aux souvenirs de l’Abbaye ne trahissaient chez le romancier l’historien futur, je serais en mesure, grâce à une aimable communication, d’invoquer sur ce point le témoignage de Sainte-Beuve lui-même, et de montrer quelle étroite relation unissait dans son esprit ces trois portions de son œuvre si différentes au premier abord de sujet et de ton : les Consolations, Volupté et Port-Royal. Voici en effet ce qu’il écrivait à ce propos sur la fin de sa vie à un critique bien connu qui venait de faire paraître un article sur ses ouvrages.


« Ce 22 août 1862.

« Cher monsieur,

« Je ne veux pourtant pas attendre votre second article pour vous dire combien je me sens déjà comblé et récompensé par le premier. Il était impossible de dire quelque chose de plus agréable et de plus consolant pour l’ancien poète qui vit, à demi enseveli, tout au fond de moi. Vous avez su toucher tous les points les plus délicats et les plus décisifs, ceux que bien peu de critiques avaient daigné discerner jusqu’ici. En désignant ces points et ces endroits à l’attention, tant dans mes poésies que dans mon roman et dans Port-Royal, vous m’avez élevé dans l’opinion de plusieurs, et j’aurai du moins le mérite désormais de m’être posé les grandes questions et d’en avoir senti le poids. Le plus noble de mon ambition est satisfait. Je fais la part de toutes les indulgences ; mais vous êtes un critique sévère, et votre indulgence même est un honneur qui compte à jamais pour moi. »

Ainsi c’est Sainte-Beuve lui-même qui, dans cette lettre inédite, nous indique Volupté comme marquant la transition de ses poésies à Port-Royal, et je n’en chercherais pas une autre pour aborder enfin l’étude de cette œuvre considérable, si je n’avais entrepris qu’une biographie toute littéraire de Sainte-Beuve ; mais il est des hommes dont la vie peut se diviser en deux parts ; la vie intellectuelle et la vie morale ; il en est d’autres au contraire chez lesquels ces deux vies ne font qu’une, et dont les mouvemens intérieurs de l’âme inspirent plus ou moins ouvertement toutes les œuvres