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rabattre de cette légende, et elle ne résiste pas tout entière au rapprochement scrupuleux des documens que nous avons cités. Sans doute il y a entre les deux premiers volumes de Port-Royal et les quatre derniers une différence qui saute aux yeux du lecteur le plus inattentif ; mais il y a une différence plus grande encore entre les sentimens intimes de Sainte-Beuve à l’époque où il s’est épris pour la première fois de Port-Royal, où il a conçu le plan d’en raconter l’histoire, et sa disposition d’esprit nouvelle à l’époque où le hasard des circonstances l’a mené à réaliser ce plan dans une salle froide et dénudée de l’académie de Lausanne. Cette conception première remonte, je l’ai déjà fait apercevoir, jusqu’à la composition de Volupté. Le moment où il a été le plus sincère dans son admiration pour les solitaires et les religieuses, c’est celui où il s’écrie avec Amaury : « O vents qui avez passé sur Bethléem, qui vous êtes reposés sur la riante solitude de Basile, qui vous êtes embrasés en Syrie et dans la Thébaïde, qui avez un peu attiédi ensuite votre souffle africain à Lérins et aux îles de la Méditerranée, vous aviez réuni encore une fois vos antiques parfums dans cette vallée proche Chevreuse et Vaumurier ; vous vous y étiez arrêtés un moment avant de vous disperser aux dernières tempêtes. »

Oui, c’est bien à cette époque d’amour et de mysticisme que Sainte-Beuve, après avoir demandé d’abord à la religion des inspirations et des images pour ses poésies, s’est mis aussi à l’interroger sur ses secrets pour diriger et pour consoler les âmes. Jeune, inquiet, malade, amoureux (c’est lui-même qui parle), il s’est arrêté avec étonnement devant ces grandes figures, il leur a demandé à quelle source elles avaient puisé le courage de leurs austérités et la sérénité de leur confiance ; il s’est trouvé alors en présence d’un ensemble de doctrines théologiques dont jusque-là il avait peu soupçonné la profondeur. « La religion s’est montrée à lui dans sa rigueur, et le christianisme dans sa nudité ; » mais à mesure qu’il étudiait ces doctrines dans leurs mystères, une sorte de second travail intérieur s’opérait en lui : ce qu’il appelle dans ses lettres à l’abbé Barbe l’esprit d’analyse, ce que j’appellerai le démon de la critique, sapait par derrière ses convictions passagères, et détruisait ainsi sourdement, à son insu en quelque sorte, l’œuvre commencée ; cependant le plan primitif, la conception originaire demeurait debout, conception toute chrétienne, toute catholique, toute favorable à Port-Royal, et lorsque trois ans après Sainte-Beuve fut brusquement invité à mettre à exécution ce plan dont il avait esquissé les traits principaux devant une réunion familière, lorsqu’en partie contraint par la nécessité il eut accepté d’emblée de