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prennent une valeur hors de toute proportion. On comprend, en regardant ces paysages encadrés dans un éternel fond d’or, comment les procédés des peintres byzantins leur ont été tout naturellement inspirés par la nature ambiante.

Quelle fête en plein novembre, tandis que nos amis, en France, se blottissent frileusement dans la cheminée attristée ! quelle fête pour les sens de se laisser glisser sur cette nappe d’azur aux reflets dorés, d’emplir ses yeux de tous ces rayonnemens et de humer cette tiède lumière, pénétrante comme celle que le poète latin place dans les champs élysées,… lumine vestit purpureo,… c’est littéralement vrai, et on le comprend ici ; elle drape les montagnes comme une gaze palpable. Avant de condamner en bloc le paganisme, il faut avoir passé sous ce ciel clément dont il semble l’émanation naturelle. Insensiblement le genius loci vous y envahit et vous pénètre : on se sent devenir païen, fatal, heureux ; on se demande avec regret pourquoi l’on ne vit plus de cette vie assurée et bénie, sous la consolante tolérance de ces divinités gracieuses, pourquoi le Christ souffrant a passé là, apportant ses dures vérités, repoussant ces aimables fantômes et nous laissant, à son image, laborieux et mélancoliques, attristés de cette vie et effrayés de l’autre. Dans un pareil climat, la morale semble un mot vide de sens, le sacrifice une absurdité ; l’ascétisme et le renoncement n’y sauraient pas plus venir que le bouleau ou le sapin, et l’on conçoit l’étonnement irrité de ces populations quand elles entendirent pour la première fois les enseignemens austères, incompréhensibles, de Paul et de Barnabé. Irisanis, Paule, disait Festus.

Rhodes s’annonce, comme beaucoup de villes de l’Archipel, par ses moulins ; ils s’avancent jusque dans la mer, le long d’une langue de sable, avec leurs grands bras agités : si don Quichotte eût été un frère hospitalier, il les eût pris pour des Turcs et pourfendus en conséquence. A mesure que la terre monte à l’horizon, des palmiers dressent leurs têtes entre les moulins, puis des platanes, des cyprès, des orangers, des lauriers, toute une végétation luxuriante et nouvelle cachant les blanches villas des faubourgs, enfin la ville elle-même, cerclée dans son enceinte de murailles, hérissée de tours à créneaux, enserrant son petit port de fortifications démantelées.

Rhodes est la perle des mers du Levant. La beauté de son ciel justifie le mythe antique qui la donnait pour amante au soleil. Nous mouillons dans l’après-midi, et le capitaine nous donne quelques heures pour parcourir la ville. Nous pénétrons dans l’enceinte par une poterne pratiquée dans le rempart, et nous nous trouvons en face de l’hôpital Saint-Jean et de la rue des Chevaliers. — Qu’on