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causer, je n’avais aucune opinion à cet égard. Mon service me tenait confiné dans les appartemens du mari, et on pense bien que je ne servais pas à table.

Monsieur faisait remarquer à madame l’étrangeté et la beauté des sites. J’écoutais pour faire mon profit de ses connaissances, lorsque monsieur fit un cri de surprise en prononçant un nom nouveau pour moi, Salcèdel et il me donna l’ordre de faire arrêter les chevaux. Aussitôt il mit pied à terre et courut embrasser un piéton qu’à première vue j’eusse pris pour un colporteur ambulant. C’était un grand garçon vêtu d’habits grossiers, couvert de poussière, le chapeau de feutre mou tout déformé par la pluie, et portant une boîte verte passée en sautoir, avec cela des mains hâlées et des chaussures impossibles. Derrière lui venait un montagnard ayant sur ses épaules un bagage que j’avais pris d’abord pour un sac de marchandises.

Ce personnage problématique était le jeune marquis Alphonse de Salcède, ami d’enfance du comte de Flamarande. Celui-ci l’embrassa cordialement et le présenta à sa femme en lui disant : — C’est une amitié héréditaire ; son père et le mien s’aimaient tendrement. C’est de lui que je vous ai souvent parlé en vous disant qu’il était plus jeune que moi, mais plus mûr que son âge, car, vous le voyez, au lieu de vivre dans le monde, où il pourrait faire grande figure, il court les montagnes en touriste et en savant. Je vous demande votre bienveillance pour lui.

Madame fit un beau sourire au voyageur et lui demanda si on aurait le plaisir de le voir à Montesparre, où l’on se proposait de se rendre le surlendemain, aussitôt qu’on aurait visité le vieux manoir de Flamarande. M. de Salcède répondit qu’il se rendait de ce pas à Montesparre, où il comptait passer plusieurs semaines, pour se reposer de trois mois de voyages pédestres dans le midi de la France et le nord de l’Italie.

Monsieur lui reprocha d’avoir été absent au moment de son mariage ; il se fut réjoui de l’avoir pour garçon d’honneur. Là-dessus on allait se quitter, lorsque madame voulut mettre pied à terre pour se dégourdir les jambes, et nous descendîmes tous. — Voyons, dit M. le comte au marquis, tu n’es pas si pressé que de ne pouvoir rebrousser chemin pendant dix minutes. Offre ton bras à Mme de Flamarande et dis-nous, puisque tu viens de passer là, en quel état nous allons trouver ce vieux nid de vautours.

— Je vous accompagnerai tant qu’il vous plaira, reprit Salcède ; mais je n’offrirai pas mon bras dans la tenue où je suis ; je vous suivrai pour vous donner les renseignemens nécessaires.

Les hommes les plus sérieux ont leur côté frivole, et le comte