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FLAMARANDE.

procédé de déduction à un lait isolé ; illogique dans l’ensemble, lorsqu’il s’agissait de relier les faits entre eux ; avec cela, c’était une intelligence, et le cœur était grand, on le verra bien à mesure que je raconterai.

Mes répugnances, je ne dirai pas combattues, mais étouffées par lui, je partis pour la campagne avec plaisir. Je ne connaissais que les environs de Paris et quelques villes d’affaires où mon père m’avait envoyé pour des renseignemens à prendre. Je savais très bien voyager, sans avoir voyagé réellement, j’avais assez traversé de terrains pour savoir ce que c’est que la campagne, et ne la détestais pas. J’entendis monsieur dire à madame quand nous approchâmes de Flamarande : — Ma chère, vous avez vu la campagne, vous n’avez encore jamais vu la nature ; vous allez la voir. — Je fis mon profit de cette annonce, et j’ouvris des yeux attentifs et curieux.

III.

C’était dans le département du Cantal. Nous avions couru la poste nuit et jour depuis Bordeaux, où M. le comte s’était arrêté pour affaires. Le soleil commençait à descendre quand nous nous trouvâmes en pleine montagne. Monsieur et madame s’extasiaient ; moi, je fus pris d’un sentiment de tristesse et de malaise qui devint bientôt de la terreur. Sans doute c’était beau, et, à présent que j’y suis habitué, je le sens très bien ; mais au premier abord le vertige des hauteurs au-dessus et au-dessous de moi me troubla tellement que j’étais près de m’évanouir, lorsque l’on s’arrêta à un endroit terrible où la route tournait brusquement sur le bord d’un précipice.

À partir de là, pendant plusieurs lieues, il n’y avait plus qu’un chemin exécrable et véritablement dangereux jusqu’à Flamarande. M. le comte, qui y venait pour la première fois, avait pris des renseignemens et des précautions. On laissa les voitures et les bagages dans une auberge isolée, à l’enseigne de la Violette. Là nous attendait une petite calèche de louage assez légère pour nous transporter sur les hauteurs avec des chevaux frais. Chacun de nous prit un sac de nuit, je montai sur le siège avec Mlle Julie, la femme de chambre. Les deux époux dans la voiture échangeaient leurs exclamations admiratives.

Monsieur avait de la lecture et du goût. Quant à madame, j’ignorais absolument si elle avait de l’esprit : les femmes, jalouses de sa beauté, disaient qu’elle était dépourvue d’intelligence ; les hommes répondaient qu’elle était assez belle pour s’en passer. Pour moi, ne la voyant que par instans et sans jamais l’entendre