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FLAMARANDE.

chambres sombres qui avaient encore des tapisseries et des meubles du temps de Louis XIV. Madame craignit la malpropreté et déclara qu’elle se faisait un plaisir de coucher sur la paille fraîche dans le donjon, mais elle accepta de dîner dans la grande salle du rez-dechaussée, et la mère Michelin, aidée de sa bru et de sa servante, se mit à l’œuvre avec empressement.

Nous avions apporté quelques provisions qui ne furent pas nécessaires. Le pays fournissait du gibier en abondance, et le gardemanger en était bien garni. J’entendis dire que c’était grâce à M. de Salcède. Il avait chassé la veille avec le fils du fermier, et ils avaient rapporté des lièvres et des perdrix. Mme Michelin s’entendait à rôtir, tout fut trouvé exquis, et moi aussi je fis un excellent repas. J’avais veillé avec soin durant la route sur le panier de vins, M. le comte but à tous ses aïeux et au manoir berceau de sa famille. Il se monta un peu la tête et projeta de chasser le lendemain avec M. de Salcède. Celui-ci s’en défendit, disant qu’il ne fallait pas laisser madame seule dans cette montagne, qu’elle s’y ennuierait. Madame protesta, prétendit qu’elle n’avait jamais rien vu de si beau que Flamarande, qu’elle ne voulait pas qu’on se privât pour elle de quoi que ce fut, et qu’elle saurait fort bien se plaire un jour dans cette solitude. On manda Ambroise Yvoine, qui était le guide rencontré la veille escortant M. de Salcède. Il promit d’être sur pied à trois heures du matin.

V.

On alla donc se coucher de bonne heure sur la paille du donjon, que la mère Michelin avait recouverte de draps bien blancs et où les coussins de la calèche servirent d’oreillers. M. de Salcède s’était installé dans une des tourelles. On laissa les lits du pavillon, aux domestiques, et, comme ces lits étaient plus propres et meilleurs qu’ils n’en avaient l’air, nous passâmes probablement une meilleure nuit que nos maîtres ; mais ils contentaient leur fantaisie et firent, à ce qu’il paraît, bon ménage avec les rats et les chouettes du château de leurs pères.

Je me demandais comment s*y prendrait M. de Salcède pour ne pas aller à la chasse avec le comte, car il était bien évident pour moi qu’il souhaitait rester auprès de madame. Aussi quand, après une heure de chasse, je le vis revenir boiteux, je ne fus pas surpris. Il me dit qu’il s’était heurté contre une roche et n’avait pu continuer. Il me pria de lui donner de l’eau mêlée à de l’eau-de-vie, et je m’offris à le panser, ce qu’il accepta, comme s’il eût tenu à faire constater la réalité de cette blessure, qui était réellement