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Je surprenais des conversations intimes. Un jour, la jolie Berthe dit à la belle Rolande : — Vous avez l’air de railler mon sentiment. On dirait que vous ne le comprenez pas. N’avez-vous jamais aimé ?

— J’aime mon mari, répondit la comtesse un peu sèchement.

— On aime toujours son mari quand on est honnête femme, reprit la baronne ; cela n’empêche pas d’avoir des yeux. Vous avez les plus beaux qui soient au monde. Ouvrez-les et dites-moi si Alphonse vous paraît indigne de mon affection.

— Non certes ! je le crois le plus pur et le plus estimable des hommes.

La baronne reprit : — Et comme il est beau, instruit, aimable et généreux !.. Voyons, chère enfant, la vérité est dans la bouche de vos pareilles en candeur et en droiture ; si vous étiez à ma place, — supposons ! libre, absolument libre de choisir, est-ce que vous n’aimeriez pas Salcède ?

J’ouvrais mes oreilles toutes grandes pour saisir la réponse. Elle fut dite si bas que je n’entendis rien.

IX.

Un événement fortuit me mit à même de mieux voir et de mieux entendre. Le valet de chambre de Mme de Montesparre (elle n’en avait qu’un, qui faisait tout le service) tomba malade, et, comme on n’avait personne de convenable pour le remplacer, la baronne me demanda si je voulais bien diriger le service de la table et du salon pendant quelques jours. M. le comte était auprès d’elle lorsqu’elle m’adressa cette demande, et il me regardait attentivement. Mon premier mouvement fut de m’excuser, disant que je ne connaissais pas ce genre de service. — Il n’importe, dit M. le comte en me regardant toujours d’un air d’autorité. On vous demande de présider au service des autres ; ce que souhaite le plus Mme la baronne, c’est une figure comme il faut à la tête de son intérieur.

— Si monsieur le comte l’exige ?

— Non, je n’ai pas ce droit-là, je vous le demande.

— Monsieur le comte sait bien que je n’ai rien à lui refuser.

Je m’installai dans ma fonction temporaire, et dès lors je pénétrai dans mon Salcède comme avec une lame d’épée. Il ne pensait pas plus à épouser la baronne qu’à s’aller noyer ; mais il était un peu plus habile que je ne l’aurais cru. Il la ménageait sans doute pour écarter les soupçons. Il la comblait de soins et se montrait plus occupé d’elle que de la comtesse. Il était avec elle sur le pied d’une amitié délicate, dévouée, et il ne lui faisait pas la cour ; mais il était