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FLAMARANDE.

si parfait pour elle, pour son fils que, sans être sotte, elle pouvait bien s’y méprendre.

Encore moins il faisait la cour à Mme de Flamarande. Il se tenait à distance respectueuse, et c’était elle qui paraissait vouloir l’apprivoiser, ainsi que l’en avait chargée son mari. Elle n’y mettait aucune coquetterie, elle n’en avait pas ; mais, avec son grand air de candeur et de désintéressement, elle lui plaidait sans cesse la cause de l’amour et paraissait ainsi servir les secrets desseins de son amie. Il se laissait volontiers endoctriner et ne donnait la réplique que pour la forcer de continuer son joli prêche.

Je découvris, en l’écoutant, qu’elle avait autant d’esprit que de beauté, et que, si elle ne le faisait pas exprès, elle n’en agissait pas moins de manière à lui faire perdre le peu de raison qui lui restait. Le pauvre garçon était ivre d’amour. Il ne songeait plus à la botanique, ni à aucune étude ; il ne sortait plus seul que le matin avant le lever de ces dames, et c’était pour rêver sans agir. Quand il paraissait devant elles, ce n’était plus le piéton poudreux et barbu que nous avions pour ainsi dire ramassé sur les chemins ; c’était l’homme le plus soigné, le mieux mis, le plus agréable à voir que l’on puisse imaginer, un véritable cavalier, comme on dit pour désigner un homme fait pour servir et charmer les femmes. Avec sa grande taille, sa belle figure, ses yeux noirs rêveurs ou passionnés, il éclipsait tous les autres gentilshommes, et M. le comte, avec sa maigreur, sa taille un peu voûtée, ses yeux pénétrans, mais durs ou sardoniques, sa mise assez négligée et son peu d’empressement auprès du beau sexe, ne paraissait plus rien du tout.

C’est en servant à table que j’appris à connaître M. le comte. Je dois avouer qu’il était d’un commerce plus intéressant qu’agréable avec les personnes de sa condition ; il avait l’esprit chagrin comme les gens qui souffrent du foie. Très instruit et doué d’une grande mémoire, il aimait la discussion ; mais il n’y portait pas l’aménité qui la rend supportable aux gens du monde. Il tranchait sur toutes choses d’une façon qui blessait et poussait à la contradiction. Plus fort que ses interlocuteurs, il les battait aisément. On lui en voulait, on le déclarait pédant, acerbe et finalement ennuyeux, ce qui est la vengeance des esprits superficiels. Il eût pu être écouté, car il instruisait et parlait bien ; seulement son caractère éloignait de lui et gâtait le bien qu’il eût pu faire.

Sa femme s’en apercevait-elle ? Elle l’écoutait d’un air respectueux et craintif. Elle n’avait ni familiarité, ni enjouement avec lui. Ils causaient peu ensemble, et elle n’osait pas causer devant lui, tandis qu’avec Salcède et la baronne elle redevenait vivante et animée, — Je me disais à part moi : Quand on se décide à mettre

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