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vie. M. de Salcède subissait un rude interrogatoire, tout en protestant de l’innocence de ses intentions. — C’est vous, disait-il, qui m’apprenez la présence de Mme la comtesse dans son appartement ; en y entrant comme en sortant, j’étais persuadé qu’elle n’y était pas. Je ne l’ai pas vue, je ne l’ai pas devinée. Je vous avais vus partir ensemble. Pouvais-je prévoir que vous étiez revenus ?

— Vous avez appris par quelque hasard qu’un accident de voiture nous avait forcés de revenir.

— Je ne l’ai appris de personne.

— Vous l’avez appris par le concierge en rentrant.

— Nous n’avons pas échangé un mot, cet homme et moi.

— Pourquoi rentriez-vous ici quand tous vos compagnons restaient au rendez-vous de chasse ?

— Seul je n’étais pas ivre, et leur bruit m’était insupportable.

— Vous êtes un maladroit, vous deviez feindre l’ivresse et dire qu’en entrant chez moi vous avez cru entrer chez vous.

— Je n’ai rien à feindre. J’ai cru entrer dans un appartement où il n’y avait plus personne.

— Eh bien ! alors pourquoi ? Expliquez donc cette charmante fantaisie !

— Je ne peux pas l’expliquer, on n’explique pas une fantaisie.

— Il suffit, reprit le comte. Il ne me convient pas que ma femme soit l’objet d’une fantaisie quelconque dans votre pensée. Nous allons entrer dans cette prairie au bout de laquelle est un petit bois, nous tirerons au sort, et celui à qui échoira le fusil tuera l’autre à bout portant.

— Non, Adalbert, non, nous nous donnerons rendez-vous à Paris, où dès demain je vais me rendre pour recevoir vos ordres.

— Vous espérez que jusque-là j’aurai faibli, qu’on m’aura persuadé… Non, je veux votre mort ou la mienne tout de suite. Charles ne revient pas…

Je me montrai et déclarai que le fusil de M. de Salcède était hors de service. — C’est faux, s’écria M. le comte, j’irai le chercher moi-même ! et, s’élançant avec une vigueur soudaine, il fit un cri et tomba en portant la main à son côté droit. Sa maladie de foie, exaspérée par cette colère, lui ôtait la force de se venger sur l’heure. M. de Salcède le prit dans ses bras sans rien dire et le porta chez lui. Sur le seuil, il le remit à mes soins et disparut sans m’adresser. un mot.

Madame parut s’éveiller d’un profond sommeil, et, tout effrayée de voir son mari évanoui, elle m’aida à le mettre au lit et courut appeler la baronne, qui ne s’était pas couchée, attendait toujours Salcède au salon et ne se doutait de rien.