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FLAMARANDE.

Ces dames soignèrent le comte, qui revint à lui et ne parla de l’événement ni à l’une ni à l’autre. Je compris que je devais me taire aussi. Le lendemain de grand matin, M. de Salcède était parti, laissant à Mme de Montesparre un billet où il lui disait que son père était gravement malade, et qu’il courait le soigner. M. le comte, encore souffrant, ne se leva que dans la soirée, s’informant beaucoup de la voiture de voyage, qui ne fut en état de marcher que le jour suivant.

Nous étions à Paris quatre jours après l’événement que je viens de raconter. Le lendemain de notre arrivée, M. le comte sortit de bonne heure et rentra très pâle vers midi. Je devinai qu’il venait de se battre, et je l’examinai avec anxiété. — Je n’ai rien, me dit-il tout bas. Je suis vengé. Dans la journée, il m’envoya demander des nouvelles de M. de Salcède. Elles étaient fort mauvaises. — M. le marquis est fort mal, lui dis-je en rentrant. Il ne passera pas la journée, et son père est mort de saisissement en le voyant rentrer dans l’état où M. le comte l’a mis.

M. de Flamarande eut encore une crise, et quand il en fut revenu, il me dit de fermer les portes et me parla ainsi qu’il suit :

— Charles, j’ai été indignement trompé, mais je me suis trop cruellement vengé. D’un coup d’épée j’ai tué le jeune homme qui avait été mon meilleur ami, et le vieillard qui fut le meilleur ami de mon père. J’espère que je mourrai bientôt à mon tour, car je déteste la vie. J’ai fait mon testament, j’ai assuré votre sort. Puis-je compter sur votre éternelle discrétion ? Vous seul au monde connaissez la cause de ce duel. Mme de Flamarande, quand elle l’apprendra, voudra qu’on lui explique tout. Vous n’expliquerez rien, vous direz que vous ne savez rien.

— Ce sera dire la vérité, monsieur le comte, car je ne sais rien, et il est possible que Mme la comtesse ne sache rien non plus.

M. de Salcède aurait pénétré chez elle à son insu ? Vous trouvez cela probable ?

— Je le trouve possible.

— Ou’aurait-il été faire chez elle, s’il l’eût crue partie ?

— Prendre quelque chose d’oublié par elle, respirer un parfum, un bouquet peut-être !

— Un bouquet ? Oui ! quand je lui ai percé la poitrine… le malheureux faisait semblant de se défendre… il se livrait !… On a trouvé sur lui un bouquet flétri… Ah ! c’est cela, un gage de leur ameur, le bouquet d’adieu ! J’ai cru que c’était une manie de botaniste d’avoir ces fleurs sur le cœur en mourant. Il les a réclamées d’une main défaillante, et moi j’ai ordonné qu’on les lui rendît… On l’enterrera avec cela. Eh bien ! il est plus heureux que moi, et il