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FLAMARANDE.

la part de mon maître, il me l’avait bien défendu, mais comme si j’étais désormais attaché à Mme de Montesparre et chargé de lui écrire. On préparait les funérailles de M. de Salcède père. Quant au fils, il avait eu une certaine lucidité pour le voir mourir ; mais il ne comprenait plus rien, son état paraissait désespéré.

Mme de Flamarande apprit dans la journée, par des visites qui lui vinrent, que le vieillard était mort et que son fils était mourant. J’étais présent quand elle reçut le coup. Elle ne m’en parut pas affectée comme je l’aurais cru ; elle fit beaucoup de questions auxquelles on ne put répondre. L’affaire avait été tenue si secrète qu’en parlant d’une blessure grave et en supposant un duel, on ignorait encore avec qui M. de Salcède avait pu se battre.

Je rapportai les faits à mon maître. — Vous assurez, me dit-il, que Mme la comtesse a paru plus surprise que consternée ? Ne se doute-t-elle pas réellement de la vérité ?

— Ou madame est sans reproche, répondis-je, ou elle est d’une habileté de premier ordre.

— Toutes les femmes ont cette habileté-là ! reprit-il, elles la trouvent dans leur berceau. Ce sont des êtres inférieurs en tout ce qui est bon, supérieurs à nous quand il s’agit de faire le mal. Pauvre de Salcède ! il avait raison de les craindre, sa première expérience lui coûte cher ! Et moi qui les défendais contre lui ! Le diable m’emporte, je crois que j’ai été amoureux de ma femme !

Son rire sardonique m’effraya. — Monsieur le comte me paraît tourner à la haine, lui dis-je avec assurance ; qu’il prenne garde à ce sentiment-là. C’est encore de l’amour, et c’est pire, c’est de la passion.

Son rire nerveux devint froid et triste. — Ah ! si j’avais cela pour me sauver de l’ennui de vivre ! dit-il en étendant sa main comme pour prendre la mienne, que, par respect, je retirai sans avoir l’air de le faire exprès ; mais, ajouta-t-il en soupirant, je suis condamné à vivre sans autre préoccupation grave que celle de ma maladie physique. Triste souci pour un homme qui eût voulu employer sa force et sa raison à quelque chose de mieux ! Non, Charles, la passion, une passion quelconque me sauverait de moi-même ; mais je n’ai pas cette ressource, je me suis trop adonné à la clairvoyance dans les choses humaines. Je suis devenu misanthrope, rien ne me paraît plus valoir la peine d’être aimé ou haï.

— Vous avez pourtant savouré la vengeance…

— C’est une jouissance atroce, je n’en veux plus. J’ai cru qu’elle me soulagerait, elle a empiré mon mal physique et m’a plongé dans une profonde tristesse. Ah ! s’il n’y avait pas eu là une question d’honneur, j’aurais tout pardonné !