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REVUE DES DEUX MONDES.

XV.

Comme nous nous installions à Ménouville, le facteur me remit une lettre pour madame. Elle était datée de Paris, mais je reconnus l’écriture de Mme de Montesparre, que j’avais eu l’occasion de voir plus d’une fois, et je crus devoir porter cette missive à M. le comte, qui m’ordonna de la lui lire. Je l’ai gardée, la voici :

« Mon amie, j’arrive à Paris le lendemain de votre départ ; j’avais tant besoin de vous voir, de vous parler ! Votre mari est vraiment trop cruel de vous avoir emmenée dans un pareil moment. Quel drame atroce ! Je ne sais pas comment j’ai résisté. C’est l’espoir de sauver Salcède qui m’a donné la force d’accourir. Je le sauverai ! Dieu m’aidera, mais quelle douleur de le voir étendu sur son lit comme une statue sur un tombeau ! Savez-vous avec qui et pourquoi il s’est battu ? C’est un secret bien gardé, je vous jure. Ils avaient pris pour témoins des amis discrets et sûrs, votre mari devait en être. Ne savez-vous rien ? Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ? Je m’y perds, mais je le saurai ! Plaignez-moi, ma chère beauté, et donnez-moi du courage ; j’en ai tant besoin ! Aimez toujours votre pauvre Berthe. »

Ne remettez pas cette lettre, me dit le comte. N’en remettez aucune avant quelle ne passe par mes mains. Je veux que Mme la comtesse rompe avec cette folle de baronne, qui se perd de réputation sans même y songer. Cette intimité lui a été funeste. Rien de pernicieux pour une jeune femme comme les confidences d’une veuve passionnée en quête d’un mari. Tout le mal est venu de là. J’ai été d’une confiance stupide. À force d’entendre parler d’amour et vanter Salcède, la comtesse a été troublée, surprise, enivrée. L’amour-propre s’en est mêlé. Enlever un fiancé à sa meilleure amie, nulle femme ne résiste à cela, c’est le plaisir des dieux.

— Il y a une chose qui m’étonne, monsieur le comte, c’est que, professant un si grand mépris pour les femmes et ne faisant point d’exception pour Mme la comtesse, vous la traitiez avec les mômes égards que si vous n’aviez jamais eu le moindre soupçon sur son compte.

M. de Flamarande se laissait dès lors interroger par moi comme si j’eusse été son égal. Privé d’amis, — son caractère ne lui en faisait pas, — il n’était pas fâché de se montrer homme supérieur, ne fût-ce que devant son valet de chambre. Celui-là ne discutait pas et ne l’écoutait que pour s’instruire. — Apprenez, Charles, me dit —il, qu’un homme de ma sorte se conduit comme un petit bourgeois mal élevé quand il s’en prend à sa femme, coupable ou non ; c’était à lui