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élevées et une morale plus pure. Chez nos voisins, le temps où le Germain vivait librement dans ses immenses forêts et s’adonnait sans partage à ses deux occupations favorites, la guerre et la chasse, est présenté aux enfans comme une époque de force intacte et de noble indépendance. Le contact avec d’autres nations a plutôt compromis la pureté du sang et diminué l’énergie native. Si le christianisme a eu le mérite d’ouvrir à la race allemande une ère nouvelle, on doit cependant regretter qu’il ait fait évanouir les vieilles épopées germaniques, avec leurs cycles de dieux et de héros, dont il ne reste que de rares fragmens, et qu’il faut aujourd’hui reconstruire à grand’peine. Les historiens allemands se plaisent d’ailleurs à reconnaître que nulle race humaine n’était faite pour le christianisme comme la race teutonique : les Juifs, les Romains, les Grecs, quand ils ont reçu la religion nouvelle, étaient déjà des peuples usés ; mais Dieu avait choisi les Germains, dont les facultés étaient fortes et saines, pour en faire tout particulièrement les « porteurs, » c’est-à-dire en français les représentans et les promoteurs du christianisme. Ils lui ont donné la profondeur de sentiment qui était en eux.

C’est ainsi que les premiers jours de l’histoire allemande sont présentés aux jeunes gens. La Germanie de Tacite fournit les principales couleurs du tableau. Le courage, la fidélité à la parole jurée, l’amour de la vérité, le respect des femmes, l’hospitalité, sont les traits qu’on vante surtout chez les aïeux, et si la soif de la vengeance et l’appétit du butin viennent s’y mêler parfois, il faut encore admirer la passion et l’audace qui éclatent dans ces défauts. On peut aisément se figurer l’enthousiasme que provoquent dans un esprit un peu vif ces images de fierté et d’indépendance. Chaque homme libre vivait dans son enclos comme dans une forteresse : le plus beau jour était celui où, pour la première fois dans l’assemblée du peuple, le père remettait solennellement au jeune guerrier le bouclier et le javelot. J’ai retrouvé l’expression de ces sentimens jusque dans les compositions des jeunes filles. « La dernière guerre a prouvé, dit l’une d’elles, que la culture n’a pas encore tari la sève des vertus des ancêtres. » Les odes de Klopstock, où sont célébrés les antiques dieux de la Germanie, Wodan, Freya, Donar, et où la haine contre Rome éclate en cris sauvages, prêtent une voix poétique à ces sentimens.

Je m’attarderais trop, si je montrais comment la suite de l’histoire est traitée dans le même esprit. L’invasion de l’empire romain par les barbares (ce qu’en Allemagne on appelle la migration des peuples), l’empire de Charlemagne, les expéditions contre l’Italie avec Frédéric Barberousse comme figure principale, autant de grands souvenirs qu’on prend à tâche d’imprimer dans