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l’imagination de la jeunesse. Il ne faut pas croire cependant qu’il y ait, comme chez nos romantiques français, grand déploiement de couleur locale, ou comme dans nos histoires à systèmes philosophiques, le goût des personnages élevés à l’état de type. On s’attache surtout à faire comprendre les sentimens d’une grande époque, à décrire les vues et les projets d’un personnage célèbre. L’exposition incline plus à l’analyse psychologique qu’au détail pittoresque, et elle est absolument dépourvue de visées humanitaires. Des réflexions qui peuvent paraître communes ou banales au lecteur exercé, mais qui intéressent et dirigent l’intelligence de l’enfant, se mêlent au récit. Bien plus que dans nos livres français, l’intérêt est la règle qui sert à juger les hommes et les actes.

Pour donner plus de corps à tout ce passée comme pour familiariser les élèves avec les origines de la langue et de la littérature allemandes, on commence à lire dans les hautes classes des extraits d’Ulfilas, d’Otfrit et surtout du poème des Nibelungen. Grâce à la liberté dont jouit le professeur, le gothique, le vieil et le moyen haut-allemand, moins par ordonnance ministérielle que par le rapide et irrésistible progrès des études germaniques, tendent à devenir des branches de l’enseignement secondaire. L’idée d’introduire ces textes dans les classes se fait déjà jour au XVIIIe siècle. Klopstock, en des vers enthousiastes, émettait le vœu « que ceux qui sont encore enfans aujourd’hui reçoivent la précieuse leçon des hauts faits de Siegfried, de la fidélité de Chriemhilde. » Mais c’est surtout au temps des guerres de Napoléon que se propage l’idée de faire contre-poids à l’action du dehors au moyen de la vieille littérature nationale. « Ainsi, écrit un professeur en 1810, l’image de la patrie sera maintenue pure et fraîche. » Un autre dit dans le même temps : « Ce qu’Homère est pour les Grecs, ce qu’Ossian est pour l’habitant des high-lands, le chant des Nibelungen doit l’être pour l’Allemand, — après la Bible le livre le plus cher et le meilleur, un bien commun de la nation. » Niebuhr, en 1812, demandait déjà une édition scolaire d’Ulfilas, du roi Alfred, d’Otfrit. « Il faudrait, ajoute-t-il, créer à l’université une chaire dans laquelle je voudrais asseoir les deux inséparables frères Grimm. » Aujourd’hui ces patriotes seraient satisfaits : le vieil allemand s’enseigne non-seulement à l’université, mais au gymnase, à la realschule, dans les institutions de jeunes filles. Je ne pense pas que cet enseignement soit bien approfondi ; mais le peu qu’en apprennent les élèves suffit pour leur donner sur les origines de leur littérature et de leur idiome des vues qui chez nous manquent encore, même à des lettrés de profession. On apprend à considérer la langue sous un nouvel aspect, on observe les différences de dialecte, on aime et on respecte en eux les témoins des anciens temps, on recherche les