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FLAMARANDE.

n’avait pas fait entendre une plainte. M. le comte ne pouvait croire que ce fût déjà fini. On lui présentait son fils, qu’il ne regarda ni ne toucha. Il paraissait aussi calme que j’étais agité. — Tout va bien, me dit-il en me prenant à l’écart. J’avais bien compté sur une inondation à cette époque de l’année, mais en voici une qui dépasse mes espérances. Elle entre déjà dans le parc par le côté de la prairie. Dans la journée, votre Niçoise promènera l’enfant de ce côté-là. Il faudra qu’on la voie s’y rendre et qu’on ne la voie pas rentrer. Vous me comprenez ?

— Où la cacherai-je ?

— Dans mon propre appartement, où vous la conduirez par la galerie. Il s’agit de n’être pas vu. Je ferai une diversion. Veillez à tout. Dès la nuit, une voiture sera prête. Vous y’monterez avec la nourrice et l’enfant, et vous filerez sur le midi sans vous arrêter nulle part ; mais attendez. Je veux rendre la chose aussi peu tragique que possible. Appelez-moi le docteur.

Le docteur fut appelé, et, comme il vantait le courage et la belle humeur de Mme la comtesse : — Docteur, lui répondit M. le comte, méfiez-vous un peu de cette belle humeur-là. Madame est très nerveuse et très exaltée. Tâchez d’obtenir qu’elle repose et ne voie pas l’enfant avant quelques heures d’ici.

Le médecin crut devoir se conformer à cette précaution. Madame ne voulait pas dormir. Il l’y engagea en lui disant que c’était nécessaire. Elle voulait voir son enfant. Elle se plaignait doucement de ne pas le nourrir elle-même et de ne pas avoir encore aperçu la nourrice. M. le comte dut s’en mêler et lui parler de sa voix sèche et impérative. Elle se soumit, s’enferma avec Julie et dormit, vaincue par la fatigue.

XXI.

Cependant l’inondation se déclarait ; le docteur n’osait pas se remettre en route. Les paysans riverains fuyaient éperdus en emmenant leur bétail et leur mobilier. Dans la maison, bien qu’il n’y eût aucun danger à craindre et qu’on fût très habitué à la vue de pareils sinistres, on était triste ou agacé, les femmes avaient peur ou se lamentaient sur les nombreux désastres que l’on pouvait prévoir. Vers une heure de l’après-midi, M. le comte alla voir la prairie, qui disparaissait rapidement sous les vagues chargées d’écume et de sable ; il me commanda de faire sortir la Niçoise avec l’enfant. Il ne pleuvait pas ; il y avait même un pâle rayon de soleil. M. le comte voulait qu’elle allât du côté de la prairie, qu’elle laissât tomber en cet endroit un châle et quelque objet appartenant à l’en-