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littéraires du lundi. Ces études, qui forment les trois derniers volumes des Causeries du lundi, et dont quelques-unes ont paru dans d’autres recueils que le Moniteur, marquent la transition entre la série des premiers articles insérés par Sainte-Beuve au Moniteur officiel et celle qu’il inaugurera en 1861 au Constitutionnel. Le ton en est déjà beaucoup plus dégagé qu’au début de sa collaboration au journal de l’empire. On sent que le recueil où il écrit ne lui inspire déjà plus le même respect. Il a l’allure plus franche, le mot plus vif et plus libre. Le choix des sujets ne laisse pas aussi de s’être quelque peu modifié. Les grands personnages politiques et militaires y tiennent encore leur place, et ceux qui ont joué un rôle dans l’histoire militaire du premier ou du second empire, Joubert, Pelleport, Priant, Saint-Arnaud, y sont étudiés avec une curiosité bienveillante ; ce sont cependant les études purement littéraires qui dominent et qui s’entremêlent avec des portraits de femmes. Enfin Sainte-Beuve aborde pour la première fois et résolument l’étude de la littérature du second empire.

De quelque opinion qu’on fasse profession, on ne saurait contester que les premières années du second empire n’aient été une époque particulièrement stérile au point de vue littéraire. Je ne suis pas de ceux qui croient que le despotisme étouffe le génie et que la liberté seule est favorable aux lettres. L’histoire serait là pour donner plus d’un démenti à une théorie aussi absolue. Cependant il est certain que les époques de fatigues et d’affaissement qui suivent les violentes commotions politiques ne sont pas très favorables à la vivacité des impressions poétiques et littéraires, et c’est ainsi qu’on peut expliquer sans aucun esprit de parti la stérilité incontestable dont je parlais tout à l’heure ; mais l’esprit de parti ne laissait pas de s’en emparer il y a vingt ans, et c’était un lieu-commun dans le monde de l’opposition libérale que de passer au compte du régime politique la décadence de la littérature. Sainte-Beuve, dont l’amour des lettres demeurait la passion dominante, était piqué au vif de cette accusation dirigée contre un régime auquel il avait donné son adhésion, et il devait en ressentir d’autant plus vivement l’aiguillon qu’il n’en pouvait méconnaître la justesse apparente. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été à l’affût de tous les symptômes d’un réveil littéraire, et que, discernant dans la génération nouvelle des hommes de la valeur de M. Renan et de M. Taine, il ait crié bien haut leurs mérites, ne fût-ce que pour secouer le sommeil d’une jeunesse engourdie. La tournure naturelle de son génie le poussait également à apprécier avec bienveillance la tendance nouvelle des esprits et des talens, tendance scientifique et matérialiste dans la philosophie et la critique, tendance réaliste dans la littérature romanesque. Quelle qu’eût été d’ailleurs cette tendance