Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/731

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
725
FLAMARANDE.

arriva ainsi au relais, et pendant qu’on le dételait, il tomba pour ne plus se relever. — Votre cheval est mort, me cria-t-on.

Je ne puis dire l’impression que me causa cet incident prévu et le sentiment de douleur que j’éprouvai quand on ajouta : — Une belle bête ! c’est malheureux.

Dix minutes après, n’ayant pas eu la peine de prendre et de laisser un nom quelconque, j’étais dans le coupé, et la voiture filait sur la route de Bourges. Je regardais l’enfant, qui reposait tranquillement. Je ne répondais pas à la Niçoise, qui me parlait et que je n’entendais pas. Je me sentais tout à coup glacé et brisé. Je la priai de me laisser dormir une heure, et je dormis.

Au relais suivant, ayant consulté mes instructions, j’achetai des aliniens pour nous. Il y avait dans la voiture un peu de linge pour l’enfant ; il m’était prescrit de lui fournir, ainsi qu’à la nourrice, tout ce qui serait nécessaire, mais de faire des emplettes fréquentes et de peu d’importance pour ne pas attirer l’attention. Je devais permettre à la nourrice de descendre de temps en temps et de marcher un peu, si elle en éprouvait le besoin ; dans les endroits habités, elle ne devait pas se laisser voir. Notre itinéraire par Bourges, Moulins, Roanne, Lyon, etc., était tracé avec une exactitude et une netteté remarquables. Ce n’était pas là le travail d’un fou. Tout était minutieusement prévu, même les questions qu’on pouvait nous adresser et les réponses que nous devions faire.

XXIV

Dès que je fus assez remis de ma fatigue et de mon émotion pour causer avec la Niçoise, je vis que la pauvre femme avait été aussi bouleversée que moi, et j’eus à me défendre de ses reproches. Elle était avant tout en défiance de mon travestissement et ne consentit à me reconnaître que quand j’eus retiré ma perruque et mes favoris blonds. « C’est égal, répétait-elle, vous m’avez fait faire une mauvaise action. Vous me disiez que je gagnerais beaucoup d’argent sans faire rien de mal ; vous m’avez trompée ! Nous enlevons ce pauvre petit, et sa mère, qui n’en sait rien, ne l’aurait certainement pas souffert. Elle est bonne, cette dame, c’est un ange de douceur, et le mari a l’air d’un diable qui se moque de Dieu et des hommes. Il fait peur quand il vous regarde. Je n’ai pas osé lui résister hier quand il m’a dit d’aller à la prairie. J’ai pourtant demandé pourquoi dans cet endroit-là, que l’on disait tout inondé ? — Pourquoi ? m’a-t-il répondu. Pourquoi est un mot qu’il ne faut pas me dire, ou notre contrat est rompu.

« J’ai fait ce qu’il voulait. J’ai suivi l’allée qui traverse la prai-