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FLAMARANDE.

un fait accompli que de savoir son fils banni et remis à des mains étrangères. Elle ne se résignerait sans doute pas à l’y laisser, et l’obstination et la résolution de M. le comte étant données, qui sait ce qu’il n’imaginerait pas encore pour que l’enfant ne fût jamais retiouvé ?

Je supportai donc l’épreuve quand madame, en me voyant venir à sa rencontre, me dit : — Vous savez, Charles, ce qui m’est arrivé ? — Elle n’attendit pas ma réponse, et ma figure seule lui exprima mon feint étonnement. Dès que je fus seul avec Julie et qu’elle eut répondu à mes premières questions, elle entra dans les détails que je brûlais de savoir.

XXVI.

— C’est une désolation, me dit-elle, et je crois que madame n’y survivra pas. Quant à moi, j’en ferai une maladie, car de la voir pleurer le jour et la nuit, — oui, Charles, ses larmes ne tarissent pas, elles tombent sur son pain quand elle mange, elles inondent son oreiller quand elle dort. Monsieur lui parle, l’exhorte au courage ; elle ne répond pas, elle n’essuie pas seulement ses yeux, dont les pleurs ont déjà creusé un sillon sur ses joues. Je ne croyais pas qu’une femme pût regretter comme cela un enfant de deux jours, qu’elle a à peine vu. Ce que c’est que la maternité ! Dieu m’en préserve à tout jamais !

Amen, Julie ; mais vous ne me dites pas comment le malheur est arrivé.

— Qui peut le savoir ? Personne ne le sait. Cette imbécile de nourrice que vous aviez procurée…

— Ce n’est pas moi. Je ne la connaissais pas, c’est M. le comte qui m’a donné l’ordre d’aller la chercher à Orléans ; elle était retenue d’avance.

— Ah ! c’est possible. Il n’a dit à personne qui elle était et d’où elle sortait ; même cela inquiétait madame, et tout le monde était étonné autant qu’on peut l’être d’une bizarrerie de M. le comte, qui ne fait rien comme les autres… Tant il y a qu’elle a été à la prairie jusqu’à la cabane des cygnes, comme si cela pouvait intéresser un pauvre petit dont les yeux ne sont pas encore ouverts ! Sans doute qu’elle n’avait jamais vu de cygnes et qu’elle a cédé à une slupide curiosité ; elle y a été et elle n’en est pas revenue. On a vu la trace de ses pieds sur le sable, on l’appelait, on la cherchait partout, quand un jardinier a rapporté son châle et le petit bonnet de l’enfant que l’eau roulait sur le sable de l’allée. On a couru partout ; je crois que pendant huit jours et huit nuits on ne