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FLAMARANDE.

me retirer, m’en aller par le chemin de Montesparre, que je connaissais, et ne laisser aucune trace de mon passage, autre que l’enfant, qui ne savait pas mon nom et n’était pas en état de donner le moindre renseignement sur moi et sur lui-même.

XXXI.

J’avais à craindre pourtant que les Michelin ne voulussent pas se charger de Gaston tout de suite par pure charité et sans faii-e de démarches pour le restituer à quelqu’un. Écrire me paraissait dangereux ; d’ailleurs je n’avais rien pour écrire et il faisait nuit. Je m’avisai d’attacher un billet de mille francs au chapeau de Gaston, me réservant de régulariser plus tard ses moyens d’existence. Puis je m’approchai de lui et l’embrassai tendrement sans qu’il se réveillât.

Trois heures après j’étais en vue de Montesparre. Je prenais une petite diligence qui passait et c|ui me conduisit à une ville peu éloignée. Je m’y reposai et, grâce à une autre diligence, je repris la route de Paris, d’où j’écrivis aux Michelin que, par l’ordre de M. le comte, je me rendais chez eux pour régler l’année et aviser aux réparations nécessaires. En même temps, je leur écrivis, avec une écriture bien contrefaite, une autre lettre que je mis à un autre bureau de poste, et qui contenait ces mots : a L’enfant que vous avez trouvé dans la crèche n’est pas dans la misère. Elevez-le comme un des vôtres et ne faites aucune démarche pour connaître ses parens ; ils veilleront sur lui, et si vous êtes prudens, si vous n’avez pas et ne faites pas naître d’inutiles curiosités, vous recevrez tous les ans, jusqu’à sa majorité, la même somme que celle que vous avez trouvée sur lui. Moitié de cette somme annuelle vous sera attribuée pour les soins que vous prendrez de lui. L’autre moitié servira à payer son entretien et sa première éducation. On exige qu’elle soit en tout semblable à celle de vos enfans. »

Ces deux lettres expédiées, je me disposai à repartir pour Flamarande. J’eusse préféré n’y pas retourner si tôt ; mais, tout en ayant décidé de n’avoir rien de commun avec l’aventure de la crèche, j’étais impatient de savoir si mon cher petit Espérance était bien accueilli et bien soigné.

Je trouvai les Michelin dans la joie. La bru, accouchée depuis quinze jours, revenait de l’église, où elle avait été faire ses relevailles. Je me gardai bien de questionner, et, dès que je vis paraître Gaston endimanché comme les autres, avec des primevères sauvages et des rubans à son chapeau, je demandai si c’était un parent de la famille. — C’est notre enfant, me répondit Michelin fds, c’est le bon Dieu qui nous l’a envoyé comme par miracle ; mais c’est