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pas du tout pourquoi j’ai pensé à vous en le voyant, et puis j’ai vu que ce n’était ni votre âge ni votre manière de parler.

— Comment donc était-il, ce monsieur si comme il faut ?

— Ah ! oui-da, non ! je ne vous le ferai pas connaître. Je suis l’ami des Michelin, et me voilà de leur secret par conséquent.

— Mais vous savez d’où il venait ?

— Il venait d’Aurillac, voilà tout ce que j’en sais, et je le saurai quand je voudrai.

— En vérité ? vous êtes un habile homme !

— Pas plus que vous ; mais je roule comme un vieux caillou sur les chemins, et je tâche de comprendre ce que je vois.

— Vous avez voyagé, puisque vous connaissez le soleil du midi ?

— J’ai été soldat, j’ai fait des campagnes en Afrique. Revenu au pays, j’ai exercé trente-six métiers, au loin et auprès.

— Vous savez peut-être le patois ou la langue que parle cet enfant ? Essayez donc de le faire causer.

— J’ai essayé, je n’y ai rien compris ; puis je le comprendrais que je n’en dirais rien.

— Pourquoi, Yvoine ?

— Parce que je ne suis pas bavard, voilà tout ; mais la nuit vient, et Michelin m’attend pour me montrer sa vache borgne. Au revoir, et votre serviteur, monsieur Charles.

Il se leva en emportant Espérance sur son épaule, et il me laissa en proie à de graves perplexités. Était-ce là un homme capable de pénétrer un secret comme celui de M. de Flamarande, et dont il fallait acheter le silence en lui faisant quelque feinte ouverture ? C’était beaucoup risquer avec un paysan qui était peut-être plus facétieux que malin.

XXXV.

Je partis sans l’avoir revu, et je me rendis de nouveau à Paris, où M. le comte, devant revenir passer l’hiver avec sa famille, m’avait dit de l’attendre tout en m’occupant des réparations à faire à son hôtel. Il tenait beaucoup en quittant l’Italie à ne pas habiter une maison froide, et le système de chauffage à l’hôtel était à changer entièrement. Cela dura plus que je n’eusse souhaité, et je ne pus écrire que tout était prêt et fonctionnait bien avant la fin de décembre.

À ce moment, désireux de reconnaître l’hospitalité des Michelin et d’avoir des nouvelles de mon petit Espérance, je fis emplette de divers cadeaux pour la famille et les expédiai francs de port à Flamarande. Tout en faisant la plus belle part à ma petite commère,