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FLAMARANDE.

Cette fois il me sembla que son regard et l’accent de sa voix signifiaient « à charge de revanche. »

En ce moment, Espérance, poussé par les autres enfans, qui jouaient bruyamment autour de nous, vint tomber, le corps en avant, sur les genoux d’Yvoine. — Eh ! eh ! dit celui-ci en le prenant et l’asseyant sur lui, te voilà, petit voyageur ? Je le connais déjà, je t’ai vu à la Violette !

— Vous connaissez cet enfant ? lui dis-je. Vous êtes plus avancé que tous les gens d’ici. Personne n’a pu me dire qui il est et d’où il vient.

— Je vous le dirai, moi, reprit Yvoine à voix basse, mais dans le pertuis de l’oreille, car les Michelin n’aiment pas qu’on parle de ça et n’iront jamais aux informations, soyez-en sûr.

— Ce serait donc un secret de leur famille ?

— Point, ils ne savent pas d’où sort le petit ; mais je gage qu’ils sont bien payés pour en prendre soin, car ils y tiennent et ne le laissent pas courir dans la montagne. Ils ont crainte qu’il ne leur soit volé et que d’autres n’en aient le profit.

J’écoutais d’un air d’indifférence, mais avec des battemens de cœur. — Vous prétendez le connaître ? dis-je à Yvoine en lui remplissant son verre.

Il l’avala d’un trait, en homme qui ne craint pas de parler plus qu’il ne veut, et, sans répondre, il regarda Gaston attentivement après lui avoir levé la tête ; puis il l’embrassa en couvrant cette petite figure de son épaisse barbe grise, hérissée comme le dos d’un sanglier en colère. — Il est gentil, pas vrai ? me dit-il en se retournant vers moi avec son air moitié bienveillant, moitié malicieux.

— Très gentil, répondis-je, et… vous le connaissez ?

— Je le connais, comme vous le connaissez vous-même.

— Moi ? mais je ne le connais pas !

— Eh bien ! regardez-le, et vous le connaîtrez. Ça d’abord… ces mains-là, et ces petits pieds, ça n’est pas de notre race, à nous autres, c’est de la race du midi, c’est le soleil du midi qui a rougi le cou et les oreilles. Notre soleil, à nous, mord bien quand il s’y met, seulement il ne dore pas, il noircit. Et puis, voyez les yeux de ce petit-là ! Ça n’est pas les yeux d’un paysan, ça ne s’étonne de rien, et ça a l’air de penser au-dessus de son âge. C’est le fils d’un monsieur très comme il faut, qu’au premier moment j’ai pris pour vous, monsieur Charles.

— Pour moi, Yvoine ?

— Pour vous. Et demandez-moi pourquoi, je n’en sais rien. Il ne vous ressemblait pas plus que je ne vous ressemble. Je ne sais