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madame conduisait Roger chez Susse ou chez Giroux, le mettant à même de choisu^ les plus beaux jouets, et qu’elle rentrait avec sa voiture pleine de ces objets coûteux et fragiles dont l’enfant s’amusait une heure pour les mettre en pièces, je songeais à Gaston jouant avec les pommes de pin de la forêt ou les cailloux roulés du torrent. En était-il plus malheureux ? Non certes, au contraire peut-être ; mais les caresses d’une mère, la protection et la sollicitude de tous les instans, ce regard extatique attaché sur lui lorsqu’il s’endormait, ce sourire d’adoration à son réveil, cette prévision de son moindre désir, voilà ce qu’il n’avait pas, ce qu’il n’aurait jamais, et je me surprenais à parler tout haut dans ma chambre et à dire en pleurant presque : Toi, mon pauvre cher enfant, tu m’auras, je le jure ! tu m’auras pour t’aimer et pour veiller sur toi.

Le printemps arrivé, M. le comte annonça qu’il vendrait Sévines. Je pensais que madame en serait contente, car il parlait de l’envoyer sous mon escorte à sa villa de Pérouse, tandis qu’il irait s’occuper de la vente de sa terre. Madame lui témoigna le désir de ne pas le quitter, elle ne répugnait pas à revoir Sévines.

— J’aime mieux cela, répondit le comte, et, à moi, il me dit quand nous fûmes seuls : — Je ne m’attendais pas à cette résignation, car je sais qu’elle a gardé de Sévines un souvenir affreux. Elle est vraiment la douceur même ; c’est un tempérament sans énergie, et si les douleurs sont vives chez elle, elles ne sont pas profondes.

— Monsieur le comte a réussi, repris-je, à lui tenir secret le genre de mort attribué à l’enfant : ne craint-il pas qu’elle ne l’apprenne quand elle se retrouvera sur le théâtre de l’événement ?

— Si elle doit l’apprendre un jour, mieux vaut qu’elle l’apprenne à Sévines qu’ailleurs, ce sera une affaire enterrée, et elle n’aura plus la préoccupation de la fluxion de poitrine pour Roger.

Le premier soin de madame dès qu’elle fut installée à Sévines fut de demander à pénétrer dans le caveau de famille pour y voir la tombe de son premier-né. — Je ne savais pas si M. le comte avait prévu la nécessité de cette tombe, et je fus fort troublé quand madame me fit demander les clés. Je courus dire mon embarras au comte, qui se leva tranquillement et se rendit chez elle. Julie m’a raconté leur conversation.

— Il faut, dit-il à sa femme avec assez de douceur, que vous me fassiez la promesse de renoncer à voir cette tombe. Votre santé est nécessaire à votre fils, et vous devez refouler et fuir les émotions qui l’ont si sérieusement compromise.

Madame répondit qu’elle aurait le courage nécessaire ; elle le