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FLAMARANDE.

avoir agi sur l’imagination des paysans, faisaient leur effet plus haut et donnaient lieu à des commentaires différens chez les voisins plus ou moins proches de M. le comte. Les personnes qui ne l’aimaient pas, et il y en avait malheureusement beaucoup, le tenaient pour bizarre et disaient que, si Mme de Flamarande était folle comme il le donnait à entendre, elle était encore la plus sage des deux. Ces personnes hostiles le disaient capable de tout. On s’accordait à penser qu’il avait fort bien pu enlever l’enfant à sa mère pour essayer sur lui un système d’éducation conforme à son esprit paradoxal. Enfin la mort de Gaston, acceptée tout d’abord comme un malheur fortuit, était révoquée en doute. Julie avait été volontiers expansive avec des gens moins discrets que moi. Elle avait partagé les espérances de sa maîtresse après les avoir fait naître pour la consoler. Elle avait avoué que M. le comte lui avait toujours fait peur, elle avait insisté sur la disparition de Zamore, un cheval de trente mille francs, disait-elle, que Joseph avait cru vendu par moi, selon les ordres de son maître, mais que personne du pays n’avait ni acheté ni revu.

M. le comte, ennuyé de l’air dont on le questionnait, brusqua la vente et le déménagement. Le premier souci fut pour lui la translation des tombes de ses parens, qu’il n’osait transporter en Normandie, et que tout à coup il se décida à envoyer à Flamarande. — Je puis vendre Ménouville, me dit-il quand sa résolution fut prise, et je ne vendrai jamais ce pauvre rocher de Flamarande, qui n’a de valeur que pour moi-même. Mes reliques de famille seront là bien tranquilles. Allez-y, Charles, restaurez la petite chapelle au pied du donjon. J’enverrai les cercueils et les tombes. Vous les ferez installer. Trouvez-moi un homme sûr avec une voiture couverte et des chevaux forts.

J’acceptai cette commission, qui, sans me séparer pour toujours de mon maître, m’assurait deux ou trois mois de liberté. J’en avais besoin ; je me sentais devenir très malade. Le séjour de Sévines m’était odieux. M. le comte devait y rester le temps nécessaire pour conclure le marché, après quoi il irait rejoindre madame et Roger, il passerait l’été avec eux au lac de Trasimène ; nous devions nous réunir tous à Paris au milieu de l’automne.

George Sand.

(La troisième partie au prochain numéro.)