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madame, je la supplie de renoncer à l’espoir de retrouver Gaston, afin d’éviter la douleur d’être séparée de Roger.

XXXVII.

Mme la comtesse trembla de la tête aux pieds, comme un peuplier saisi par l’ouragan ; puis, faisant un grand effort pour parler :

— Merci, Charles, me répondit-elle. Je vois votre amitié pour moi, je vous remercie. Je me soumettrai à tout pour l’amour de Roger. Dites-le à M. le comte, et priez-le de ne pas me tuer.

— Madame, repris-je, ferait mieux d’aller elle-même lui dire ce qu’elle compte faire.

— J’irai ! reprit-elle avec une résolution soudaine. Je ne veux plus avoir peur de lui.

— Allez-y tout de suite ; ne laissez pas à monsieur le temps de prendre une de ces résolutions sur lesquelles il ne revient pas.

— J’y vais ! Merci encore, Charles ; j’ai foi en vous. Je sens que vous êtes mon ami !

Et la pauvre femme se traîna chez son juge. J’espérais une explication complète ; si violente qu’elle pût être, elle me semblait préférable à la muette dissimulation qui allait s’établir entre eux ; mais madame, soit qu’elle n’eût pas du tout compris son mari, soit qu’elle l’eût trop compris, se renferma dans la promesse de ne plus agir en quoi que ce soit contrairement à ses intentions. — À ce prix, lui répondit le comte en lui ouvrant la porte, — ce qui me permit d’entendre la fin de leur entretien, — je vous laisserai emmener Roger. Soyez sûre que le soin de votre bonheur et de votre santé me préoccupe, et que vous agirez contre vos propres intérêts toutes les fois que vous essaierez de soustraire vos actions et vos projets à mon approbation.

La pauvre madame jura qu’elle ne le ferait plus et se prépara au départ. Monsieur m’avait désigné pour l’accompagner, mais je le suppliai de m’en dispenser. Je ne pouvais pas croire que madame renoncerait à m’interroger, et je ne me sentais plus la force de me taire. Je n’avouai pas à quel point la confiance suppliante de cette femme infortunée m’avait troublé. Monsieur le devina peut-être ; il me garda près de lui. Joseph fut désigné pour accompagner madame. On devait vendre tous les chevaux de Sévines.

La vente de la terre marcha avec rapidité. Autant monsieur avait montré d’hésitation à s’en défaire, autant il avait hâte maintenant de se dérober aux questions et aux insinuations de toute sorte dont il se voyait l’objet. Les recherches désespérées de la comtesse, après