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me dominait paraîtra peut-être bien tenace et bien profonde pour la jeune tête d’un sous-lieutenant de vingt ans ; mais, qu’on se le rappelle, je me sentais isolé et presque suspect ; j’étais pauvre, pensif et passionné, susceptible avec les autres et avec moi-même, les observant, m’observant sans cesse, les jugeant d’après moi et me croyant encore plus observé que je ne l’étais. On a vu que c’était là ma première nature ; c’était aussi la seconde, celle que j’avais reçue d’une éducation trop isolée, du malheur, et de la nécessité de tout regagner par moi-même. »

Voilà une page curieuse et qui le peint au vif dans cette première période. Cependant les événemens marchent. Tandis que Ségur fait la campagne des Grisons sous Macdonald, le premier consul triomphe de la coalition à Marengo. Le jeune sous-lieutenant, pendant l’armistice, était resté à Trente auprès de son chef, logé au troisième étage du vieux palais gothique de l’évêque, occupé à lire, à étudier la correspondance de Macdonald, ses ordres et ses instructions à ses généraux, s’attachant à comprendre l’ensemble des mouvemens, dont il n’avait vu que des détails isolés. La paix signée, il revient à Paris dans la seconde quinzaine de mai 1801. Il y avait juste un an qu’il avait quitté sa famille. Dès le lendemain, il reçoit l’ordre d’être prêt à repartir. Le premier consul a chargé Macdonald d’une mission en Danemark, et lui a fait entrevoir, après un séjour de quelques mois dans ce poste secondaire, l’ambassade de Saint-Pétersbourg. En même temps, comme il ne néglige aucun détail, il s’est rappelé les succès du brillant comte de Ségur, ambassadeur de Louis XVI à la cour de Catherine II, et il a voulu que son fils fût attaché à cette ambassade. Le 1er juin, Ségur reçoit sa nomination, et bientôt après, au double titre d’aspirant et d’aide-de-camp, c’est-à-dire devenu diplomate par circonstance sans cesser d’elfe soldat, il part avec Macdonald.

« On ne pouvait, dit-il, montrer au nord de l’Europe un plus illustre et plus digne représentant de la gloire pure des armées de la république. Ce voyage fut pour Macdonald un triomphe continuel dont nous prîmes plus que notre part. » Triomphe de haute admiration et d’accueil empressé, non pas triomphe diplomatique, car Macdonald, envoyé à Copenhague pour maintenir la neutralité des souverains du nord, avait appris en traversant l’Allemagne que cette cause était perdue d’avance. L’assassinat du tsar Paul Ier livrait la Russie à des influences nouvelles ; le Danemark, depuis le bombardement de Copenhague, était sous la main de l’Angleterre ; Macdonald, après avoir contribué à la victoire de la France, allait donc se faire battre jour par jour sur le terrain des négociations. Il en était si persuadé qu’il ne voulait même pas engager le combat. Il laissa dans Hambourg la plus grande partie de ses bagages et de sa