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maison, et le jour de son arrivée à Copenhague, le chargé d’affaires français, M. Désaugier, lui ayant appris qu’un courrier partait le soir même pour la France : « Bon, dit-il, je vais en profiter pour demander mon rappel. »

il y resta pourtant six mois. Ce séjour ne fut pas inutile au jeune Ségur, on va voir que sa fortune vint l’y chercher. Lui non plus, comme son illustre chef, il ne prenait pas très au sérieux ses fonctions de diplomate. Macdonald, sachant qu’il n’y avait rien à faire, ne demandait qu’à revenir en France ; son aide-de-camp, pour abréger les heures oisives, s’amusait à rimer des chansonnettes, et quelquefois il lui arrivait de les écrire sur les marges des archivés de la légation. Plus tard, en se rappelant ces juvenilia, l’auteur des Mémoires craint que ce procédé ne lui ait valu aux affaires étrangères une réputation un peu futile ; c’est pourquoi il tient à dire que d’autres travaux l’occupaient à Copenhague. Il n’était pas toujours plongé dans ces bagatelles,

Nescio quid meditans nugarum, totus in illis.

C’est à Copenhague qu’il rédigea son précis de la campagne des Grisons sur les notes qu’il avait apportées de Trente. En outre, selon le conseil de son père, il consignait ses remarques sur tous les personnages qu’il avait occasion de connaître, sur toutes les conversations auxquelles il prenait part. Chez Macdonald et partout ailleurs à table, dans les salons, il ne négligeait aucun moyen d’augmenter son trésor. C’est alors qu’il fit connaissance avec Wiebuhr, à peine âgé de vingt-cinq ans et déjà enseveli dans ses fouilles de l’ancienne Rome. Ce lui fut comme une apparition dont le souvenir se grava dans son esprit. Il le montre pâle, faible, malade, presque aveugle, à force de travail ; la moindre lumière l’éblouissait. « C’était donc quand la nuit suspendait ses travaux que j’allais rechercher son entretien. J’entrais à tâtons jusqu’au fond de sa retraite, où j’avais peine à le découvrir à la lueur pâle d’un seul flambeau, au milieu d’in-folios et de manuscrits poudreux dont il était environné : sa chambre en était comble. Nos entretiens quelquefois l’en distrayaient ; nous gagnions tous deux à ce rapprochement, moi de la science, lui du repos : c’était ce qui nous manquait à l’un et à l’autre. » Il fit aussi à Copenhague la rencontre d’un émigré français, ancien lieutenant de vaisseau, dont le frère devait susciter trente ans plus tard une école si bruyante et destinée à de si étranges aventures. Il s’appelait Saint-Simon.

Parmi ces souvenirs de Copenhague ; les plus curieux se rapportent à l’esprit public du pays et à certains personnages de la cour. On aurait peine à croire par exemple, sans l’attestation formelle de