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promet plus encore, et, pour en revenir à moi, je suis le plus fou de toute la bande ! » Alors, voyant l’un de ses courtisans joindre les mains et lever ses yeux au ciel : « Eh bien ! cria-t-il, que lui veux-tu ?.. Laisse-le en repos, car tu ne le tromperas pas, celui-là ! »

Des faits bien autrement dramatiques attiraient l’attention du jeune aide-de-camp de Macdonald. Il y avait à peine trois mois qu’avait eu lieu la terrible bataille de Copenhague entre la flotte danoise et la flotte anglaise, bataille glorieuse pour les Danois, qui se termina, il est vrai, par la victoire de Nelson, mais qui, sans une capitulation intempestive du prince royal, aurait fini infailliblement par le désastre des Anglais. M. Thiers, au deuxième volume de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, avait déjà raconté cette terrible journée ; M. de Ségur ajoute à ce beau récit l’intérêt des souvenirs personnels. Il a vu quelques-uns des principaux acteurs presqu’au lendemain du drame. C’était le contre-amiral Bill, qui, à un certain moment de la bataille, s’était trouvé en mesure d’enfiler de son feu les douze vaisseaux de Nelson, engagés dans une passe étroite d’où il était impossible de sortir ; il allait les détruire l’un après l’autre ou les forcer d’amener leur pavillon, quand Nelson, se voyant perdu, s’empressa d’écrire au prince royal et de lui demander un armistice. Il avait une telle hâte qu’il traça un simple billet de deux lignes au crayon. Ainsi, selon la décision du prince, la défaite des Danois allait se changer en triomphe, la victoire des Anglais allait tourner en un effroyable désastre. Le contre-amiral Bill suppliait le prince de ne pas accorder l’armistice ; le prince l’accorda, craignant pour ses colonies, pour sa flotte, pour Copenhague même, la vengeance de l’Angleterre humiliée. Au danger lointain, il sacrifiait la victoire présente. Avait-il tort ? Ségur le croit ; il est vrai que Ségur vient de visiter le contre-amiral Bill sur son vaisseau et qu’il a entendu les plaintes patriotiques de ce vaillant homme.

Tandis que l’aide-de-camp de Macdonald étudie ainsi les hommes et les choses du Danemark, le colonel Duroc, aide-de-camp du premier consul, arrive à Copenhague. C’était le 11 octobre 1801. La mission du colonel, analogue à celle que Macdonald avait reçue et dont il demandait, par chaque courrier, à être déchargé, l’avait conduit à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Stockholm ; il revenait en France par le Danemark. Avide de voir et de connaître les hommes célèbres, Ségur n’eût garde de manquer une telle occasion. Duroc l’accueillit d’abord un peu froidement, ou du moins avec la réserve d’un observateur qui a des comptes à rendre. Heureusement dès le second jour, au milieu d’un petit cercle, Duroc ayant demandé certains renseignemens sur la flotte et l’armée danoise, Ségur se trouva seul en état de lui répondre. Aussitôt la glace fut rompue. Ségur n’eut plus besoin de s’attacher aux pas de l’illustre voyageur :