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ce fut Duroc qui le rechercha. Le colonel n’avait fait du reste qu’une rapide apparition : quatre jours après son arrivée à Copenhague, il prenait le chemin de la France. A l’heure du départ, certaines paroles, certain accent, firent comprendre au jeune officier qu’il n’avait pas déplu.

Ségur était pourtant bien loin de soupçonner le changement que la sympathie de Duroc devait apporter dans sa carrière. Quand il revint à Paris avec Macdonald, au mois de janvier 1802, il était plutôt animé de sentimens défavorables au premier consul. D’abord le premier consul semblait de plus en plus disposé à faire de lui un diplomate, et Ségur, par goût comme par système, était résolu à ne pas quitter l’épée ; il lui était même arrivé, dans une présentation officielle, de le déclarer au maître avec une liberté de langage qui lui attira une brève et rude réponse. Ajoutez à cela qu’il avait fait ses premières armes sous Macdonald et Moreau ; comment n’eût-il pas adopté une grande partie de leurs griefs contre Bonaparte ? Rien ne put le ramener alors à des idées plus justes, ni les conseils de son père, ni les bienfaits du premier consul. Le comte de Ségur venait d’être nommé membre du corps législatif, et lui-même avait reçu le 5 avril 1802 son brevet de lieutenant. La semaine suivante (11 avril), au Te Deum de Notre-Dame, pour la signature du concordat, sans faire chorus assurément avec les généraux républicains qui blâmaient cette capucinade, il avait l’air de marcher d’accord avec eux. Ses allures, il est obligé de le reconnaître, pouvaient le signaler comme leur complice. « Je conviens, dit-il, que, dans la cathédrale, mon attitude ne fut pas la moins irrévérente. Je me souviens même qu’au retour du cortège, qui passa devant le Palais-Royal près d’un groupe d’officiers où je me trouvais, mes airs dédaigneux, en réponse aux saluts multipliés du premier consul, ne durent certes pas le satisfaire. »

Notons ici un fait curieux qui a bien sa valeur historique. Cette conversion que n’avaient pu amener ni les remontrances d’un père, ni les obligeances du maître, ce fut Moreau lui-même qui la produisit. Ségur, étant allé le voir un matin rue d’Anjou-Saint-Honoré, trouva chez lui deux officiers républicains, Grenier et Lecourbe. La conversation tomba sur les généraux du temps de Louis XV. Moreau, oubliant qu’il parlait devant le petit-fils d’un maréchal de France mutilé au service de la patrie, les qualifia tous d’un terme méprisant et cynique, « car sa parole, comme ses manières, était commune. » On devine l’irritation du jeune lieutenant. Cette grossièreté lui fit monter le sang au visage. Son aïeul, le héros de Lawfeld, de Rocoux, de Clostercamp, venait précisément de mourir pendant son voyage au Danemark ; il en portait encore le deuil. Son âge, son grade, ne lui permettaient pas de relever l’insulte ;