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l’artillerie de sa garde, après quoi il ira rejoindre Lannes et poursuivre les fuyards ; « mais d’abord voyez devant notre gauche ce que deviennent ces Saxons, et qu’on en finisse. » Ségur se précipite de nouveau dans la mêlée. Il accompagne les dernières charges de cavalerie, attentif à toutes les occasions où sa présence peut être utile. Tout à coup, voyant une forte colonne se diriger vers une batterie ennemie, il croit que c’est une division des nôtres, lance son cheval à toute bride et court en prendre la tête. Arrivé à vingt pas des premiers rangs, il s’aperçoit de son erreur ; c’étaient des Saxons cherchant leur ligne de retraite au milieu de la fusillade. « Si je les eusse sommés de se rendre, dit-il, — leur position était si désespérée ! — peut-être aurais-je eu l’honneur de leur faire le premier mettre bas les armes ; mais dans ma surprise, et leurs baïonnettes se croisant sur moi, je n’y songeai pas. Je crus même n’avoir pas le temps de me retourner, et, dépassant leur front, sous leur feu, je revins par l’autre flanc au premier rang des nôtres, avec lesquels je pénétrai presque aussitôt dans cette malheureuse colonne qui jeta ses armes. Murat en avait la gloire ! Dans son ardeur chevaleresque, seul, et faisant sciemment ce que j’avais fait sans le savoir, il s’était un instant après moi placé devant leur tête. Quand j’y fus revenu moi-même au travers de ces rangs désarmés, je le trouvai là, l’épée au fourreau, sa canne seulement à la main, la tête haute, souriant, et à lui seul recevant prisonniers ces milliers d’hommes ! »

Quelques heures après, Ségur est à Weimar, où Rapp et Murat viennent le rejoindre ; s’ils étaient arrivés un peu plus tôt, ils auraient pris la reine de Prusse, qui, dans son vêtement d’amazone, venait de s’enfuir au galop de son cheval. Vers minuit, il retourne à Iéna pour remettre à l’empereur le rapport qui concerne cette dernière partie de la bataille ; il le trouve endormi dans une salle d’auberge. « J’entrai seul, dit-il, une lumière à la main, et je m’approchai de son lit. Ce ne fut qu’un instant après que la clarté terne de ce flambeau le réveilla d’un profond sommeil, car il ne pouvait supporter la nuit aucune lumière… Son réveil fut doux, subit, entier, sans étonnement, comme s’éveillent ordinairement les gens de guerre. » Après avoir écouté le rapport de Ségur, il lui demanda si, en marchant sur Weimar, il n’avait pas entendu au loin, sur la droite, une forte canonnade. Ségur répondit qu’au milieu de tous les bruits de la bataille il eût été difficile d’en distinguer un autre. L’empereur insista et dit : « C’est singulier ! il y a eu pourtant de ce côté, j’en suis sûr, une affaire considérable. »

L’empereur avait raison, c’était le canon d’Auerstaedt. Bien que mêlé si activement aux principaux faits d’armes de la journée d’Iéna,