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au milieu des bancs de sable, va d’une rive à l’autre et se déplace suivant les années ? On eut tout d’abord l’idée de rétrécir le chenal au moyen de digues longitudinales qui le maintiendraient dans une direction constante. Cependant dès 1825 le conseil général des ponts et chaussées se prononçait contre cette solution. A propos d’un projet relatif à l’amélioration de la Gironde, il pensait que les bancs de sable repoussés par les digues se reformeraient en aval, si bien que l’endiguement n’aurait d’autre effet que de reculer l’obstacle au lieu de le supprimer. Il fallait pourtant faire quelque chose. Il avait été question d’un canal latéral entre le Havre et Rouen ou Villequier ; mais c’était une dépense d’une centaine de millions. On avait essayé de construire des épis, c’est-à-dire des digues transversales s’avançant de la rive jusqu’au chenal ; l’expérience avait prouvé que c’était plus nuisible qu’utile. On en revint, faute de mieux, à l’endiguement latéral, qui fut effectué de 1848 à 1850 entre Quillebeuf et Villequier, prolongé jusqu’à Tancarville en 1858, puis jusqu’à la pointe de La Roque en 1865. Les résultats en ont été satisfaisans en ce sens que le mascaret a disparu, qu’une profondeur de 5m,50 à 7 mètres se trouve réalisée. A marée haute, la navigation s’opère avec rapidité et sans péril jusqu’au port de Rouen, que fréquentent maintenant des bâtimens de 1,000 tonneaux et plus ; mais les marins ont, paraît-il, quelques raisons de craindre que ce grand travail ne contribue à ensabler les abords du Havre, en sorte que les digues s’arrêtent à La Roque sans que l’on ose les prolonger au-delà.

Quelque obscure que soit encore la question, il se dégage dès à présent des tentatives exécutées certains principes qui font comprendre au moins où gît la difficulté. D’une part, il semble reconnu que l’existence des bancs de sable et les variations du chenal dans une large embouchure sont dues à ce que le courant de flot et celui du jusant ne s’écoulent pas dans le même lit. En rétrécissant le fleuve au moyen de digues en long, on fait coïncider ces deux courans ; par conséquent on accroît la profondeur de l’eau : c’est bien en réalité l’effet produit par les travaux de la Seine maritime. D’autre part, la profondeur ne se conserve sur le littoral qu’autant que l’estuaire peut absorber un grand volume d’eau à marée montante, parce que cette masse, s’écoulant quand le flot descend, chasse les sables au large. Si donc les digues étaient prolongées jusqu’à Honfleur, ainsi que cela fut maintes fois demandé par les négocians rouennais, il est probable que des atterrissemens se formeraient à l’entrée du Havre. Or Le Havre est notre port le plus important pour les arrivages de l’Angleterre et de l’Amérique ; il était sage d’ajourner jusqu’à plus ample expérience des travaux