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compagnie concessionnaire qui impose à la batellerie un péage très élevé, il était utile de rendre la Seine elle-même navigable. C’est à quoi l’on est parvenu en construisant l’écluse de la Monnaie, le barrage de Suresnes, et en favorisant l’établissement d’un service de louage sur chaîne noyée.

Continuant notre marche, nous voici au-dessous de Paris. A mesure que l’on en descend le cours, notre fleuve acquiert plus de largeur et aussi plus d’importance commerciale, car il amène de ce côté les provenances de la Manche et celles des beaux canaux du nord. Veut-on juger par un exemple du mouvement qui s’y produit dans les grandes circonstances ? Après le siège, l’écluse de Bougival a donné passage en un seul jour à 40,000 tonnes de marchandises, soit la charge de plus de cent trains sur un chemin de fer bien construit. La Basse-Seine était d’ailleurs navigable à l’état naturel, si ce n’est qu’il y avait en étiage des bancs difficiles à franchir ; on y avait établi des barrages avec pertuis où les bateaux montans étaient obligés de prendre un renfort de chevaux remorqueurs. En 1838 seulement, M. Poirée, qui venait d’exécuter sur l’Yonne les premiers barrages à aiguilles, eut mission d’en construire un semblable à Bezons. L’effet en fut satisfaisant, on en fit d’autres qui donnèrent sur ce long parcours de Paris à Rouen un mouillage normal de lm, 60 ; mais ces travaux étaient à peine achevés que la batellerie réclamait un mouillage de 2 mètres, ce que de nouveaux barrages en construction ont pour but de réaliser. Aujourd’hui ces 2 mètres de hauteur d’eau paraissent insuffisans, parce que l’on se dit qu’avec 1 mètre de plus les caboteurs viendraient jusqu’à Paris. La question en est là : faut-il dépenser 11 millions de francs pour avoir le mouillage de 2 mettes, ou bien ajouter à cette somme déjà grosse un supplément de 7 millions pour obtenir un résultat définitif qui transformerait notre capitale en un véritable port de mer ? M. Krantz recommande avec raison, croyons-nous, cette dernière solution, qui donnerait une entière satisfaction à des intérêts considérables.

La marée remonte jusqu’au barrage écluse du Martot, à 23 kilomètres au-dessus de Rouen. Ce n’est donc point par des barrages que l’on pourrait remédier au défaut de profondeur de la Seine maritime. Rien n’est plus incertain au surplus que la théorie des phénomènes qui se passent à l’embouchure des fleuves, sur la limite indécise où l’eau douce se mêle à l’eau salée. Quelle a été dans les temps préhistoriques la cause déterminante du large estuaire par lequel la Seine débouche dans la Manche ? Pourquoi le flot montant est-il accompagné d’une vague monstrueuse, barre ou mascaret ? A quoi faut-il attribuer les variations du chenal navigable qui divague