Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un partage avec Jupiter
N’a rien du tout qui déshonore.


Ainsi, au dénoûment de la comédie de Molière, le grand monarque Louis XIV, déguisé en olympien, s’évertue à dorer la pilule à son féal sujet le marquis de Montespan, époux de sa royale concubine. Impossible de se montrer plus magnanime et plus galamment persuasif ; Amphytrion néanmoins goûte peu l’apologue, nous le voyons froncer le sourcil aux gens de cour qui le complimentent et s’éloigner sans prononcer un mot, trait sublime de Molière, qui par là sauve la dignité de son héros et laisse à Sosie le soin de terminer gaîment la pièce :


Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire.


Maintenant comment un poète s’y prendra-t-il pour renouveler le sujet ? Il ne changera rien à la donnée, — les personnages, l’action, resteront les mêmes ; seulement il y fera pénétrer l’idée mystique, du mysticisme en pleine comédie païenne ; mais c’est de la pure démence ! Ne préjugeons pas. Songez à l’un des plus divins mystères de la religion chrétienne. L’adultère ici n’est plus en cause ; Alcmène conçoit dans la pureté, le fruit de ses entrailles, Hercule, étant le fils non pas d’un homme, mais d’un dieu. Jupiter dépouille sa physionomie d’olympien, coureur de ruelles, pour revêtir l’idéal divin du panthéisme, et dans la scène des explications avec Alcmène c’est l’âme du monde qui parle par sa voix : « Et ne l’adores-tu pas dans l’univers, son œuvre immense ? Ne sens-tu pas autour de toi sa présence partout, dans la pourpre du soir glissant à travers le feuillage silencieux, dans le murmure de la source, dans la chanson d’amour du rossignol ? Est-ce en vain que la montagne qui se dresse vers le ciel, en vain que la cataracte qui gronde en se précipitant du haut des rocs, te parlent de lui ? Et lorsque le soleil éclate dans sa gloire, lorsque frémissans, ivres de joie, tous les êtres créés célèbrent sa puissance, ne descends-tu pas dans le sanctuaire intime de ton âme pour le bénir et le prier ? » Et plus loin, la glorifiant, il l’appelle sainte : « Vous êtes celle qu’une ceinture de diamans défend de toute approche, celle dont l’immortel qu’elle a reçu s’éloigne en la laissant immaculée et pure ! » Goethe disait : « C’est le mystère de la divine conception enté sur le mystère de l’amour, et il ne s’agit en effet de rien moins que d’une interprétation du mythe dans le sens de la révélation chrétienne. »

Nous venons de voir comment un poète de race sait d’un tour de main rajeunir son sujet ; d’autres nous enseigneront comment on le gâte. Qui ne connaît dans Horace la IXe ode du livre III : Donec