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mouvement qui l’a toujours tourmenté. Souvent il quittait Londres pour aller s’établir avec sa femme et ses enfans au bord de la mer. Ses amis, déjà nombreux à cette époque, avaient tous un nom soit dans les arts, soit dans les lettres, soit au barreau. C’était Leigh Hunt, le brillant et curieux esprit, qui s’était fait avec les livres un monde de délices et de jouissances plus réel que celui-ci, et qui savait donner un charme particulier aux plus grandes extravagances. C’était Thackeray, qui avait commencé par préférer le crayon à la plume, et qui n’en voulait pas à Dickens d’avoir refusé les dessins qu’il lui avait un jour offerts pour Pickwick. C’était Talfourd, le savant homme de loi, puis Douglas Jerrold, le dramaturge, et d’autres encore. Un des plus chers à Dickens était le peintre Maclise, qui, joignant à son génie d’artiste le sentiment très développé des choses littéraires, exerçait sans avoir l’air de s’en douter une puissante séduction sur ceux qui l’entouraient. Edwin Landseer, George Cattermole, le romancier Ainsworth et Macready, le grand comédien, complétaient ce cercle, qui n’avait rien à envier à aucun autre. On se réunissait le plus souvent chez Dickens, qui, ayant le goût, pour ne pas dire la superstition des anniversaires, ne manquait pas une seule occasion de célébrer le souvenir de ses succès littéraires. Le lieu de la scène variait souvent, car l’amphitryon changeait fréquemment de demeure, et la liste de ses diverses résidences serait longue ; mais on se retrouvait toujours, à la ville ou à la campagne, à Londres, que Dickens aimait tant, ou bien dans quelque cottage soit à Twickenham, soit à Petersham, où, sous prétexte d’amuser les enfans, on avait fondé un club pour le jeu de balle et institué des luttes athlétiques.

Il ne fallait pas moins que de pareils exercices pour entretenir l’équilibre des forces dans un corps resté assez frêle et dans un esprit qui ne cessait de produire, et dont la prodigieuse activité déjouait les suppositions charitables de la critique. « Il y a, disait déjà la Quarterly Review au mois d’octobre 1837, des raisons de croire que la veine particulière qui a jusqu’ici fourni un métal si attrayant est épuisée. Le fait est que M. Dickens écrit trop souvent et trop vite. S’il persiste plus longtemps dans cette voie-là, point n’est besoin du don de prophétie pour prédire son sort : il s’est élevé comme une fusée et descendra comme la baguette. » L’auteur de l’article en fut pour ses frais de métaphore : Nicholas Nickleby parut, et il s’en vendit 50,000 exemplaires. L’attente du public avait été vive et mêlée d’anxiété : on se demandait si la nouvelle œuvre y répondrait, et s’il serait possible au jeune écrivain de marcher sans ployer sous le fardeau de sa popularité. La première livraison du roman dissipa toutes les appréhensions, et Sidney