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huit mâtins armés de crocs formidables étaient rangés en bataille de l’autre côté du fossé, prêts à nous disputer le passage. Un feu nourri de cailloux de gros calibre eut raison de leur humeur belliqueuse; ils s’enfuirent en déroute, non sans protester par leurs aboiemens contre cette violation de domicile.

Nous étions au milieu d’une vaste clairière. Autour de nous, à demi cachées par des bouquets d’arbres, une douzaine d’habitations, groupées sans ordre et réunies comme par hasard, laissaient entrevoir leurs formes monstrueuses. Le général voulut bien me servir de cicerone et m’en expliquer les destinations diverses. « Cet immense pain de sucre, que vous voyez posé en équilibre sur quatre pieux et qui poignarde le ciel comme un paratonnerre, c’est la grange où s’empileront, après la moisson, les gerbes de riz. Ce toit de paille en dos d’âne, qui s’élève à la hauteur d’un deuxième étage pour retomber presqu’à terre et dont les bords s’appuient sur des solives à peine équarries, recouvre la maison du paysan, qui est bâtie sur pilotis à cause des pluies diluviennes de l’hiver. Point de fenêtres et de cheminée, bien entendu, la porte en tient lieu. Un peu plus loin, voici le kétam, sorte de cage à jour perchée sur quatre longues poutres à 15 pieds de terre et surmonté, comme tout le reste, d’un vaste chapeau de paille. Une toile placée du côté du soleil remplace le mur. C’est là que les paysans viennent chercher pendant l’été un refuge contre les moustiques. Des fumigations entretenues sous le kétam éloignent au besoin ces visiteurs trop tenaces. »

Singulière existence que celle de ces hommes qui vivent pour la plupart dispersés au milieu des bois, côte à côte avec les tigres! Les accidens sont rares d’ailleurs, le gibier, qui pullule aux alentours, fournissant à ces terribles voisins une proie toujours facile. Seuls les troupeaux paient de temps en temps aux carnassiers de la forêt leur tribut de viande fraîche. Il n’y a guère d’autres villages dans le Ghilan. Quelques cabanes à demi ruinées, servant d’écuries en hiver aux caravanes surprises par l’ouragan, sont les seules constructions que nous rencontrâmes sur notre route. Après six heures de marche, nous atteignons le premier tchapurd-khund (station). Échelonnées assez régulièrement sur le parcours, ces stations se ressemblent comme les poteaux d’un télégraphe. Faites, sauf une ou deux, d’une sorte de terre argileuse séchée au soleil, elles résistent rarement deux hivers de suite, et s’écroulent presque invariablement à la saison des pluies; on les rebâtit au printemps, et tout est dit. En voici d’ailleurs une description sommaire.

Côté des mulets : une cour carrée autour de laquelle sont disposées les écuries; des trous pratiqués dans le mur figurent les mangeoires. Côté des voyageurs : une ou deux pièces percées d’une infinité