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FLAMARANDE.

un instant éprouvé, de revoir sa chère Rolande. C’était, selon lui, le plus probable. Les femmes, disait-il, sont moins nuisibles qu’on ne croit ; leur légèreté les détourne le plus souvent des malices dont elles nous menacent.

Je n’étais pas aussi tranquille. Qui sait si Mme de Montesparre ne tenait pas la clé du grand secret ? Si je ne m’abusais pas, Ambroise m’ayant reconnu à la Violette, et depuis étant allé à Sévines, Ambroise Yvoine devait tout savoir ou tout pressentir. Si l’homme que j’avais vu disparaître comme par enchantement à mon approche, et qu’Ambroise prétendait être le meunier Simon, n’était autre que M. de Salcède déguisé, et si la baronne était alors secrètement à Montesparre, était-il invraisemblable que ces trois personnes, liées entre elles, eussent commenté l’apparition miraculeuse d’un enfant mystérieux dans la crèche de Michelin ? Mme de Montesparre aurait, dans ce cas, résolu d’avertir Mme de Flamarande, et, en lui écrivant prudemment comme pour lui demander un service, elle se réservait de lui apporter une grande joie. Il fallait donc me hcâter de tout révéler à la comtesse, si je voulais en avoir le mérite, au lieu de porter la honte et l’odieux d’être signalé par d’autres à son aversion.

Je ne dormais plus, et de nouveau je me sentais très malade. — Il faut en finir, me disais-je ; ce soir, demain, je parlerai, — et je ne parlais pas, redoutant l’éclat de cette bombe incendiaire que j’allais lancer dans un intérieur redevenu si paisible et si satisfait.

Et d’ailleurs comment parler dans cette maison où tout était minutieusement surveillé par le maître en personne ? Il ne se fiait peut-être plus à moi, et, sans en faire rien paraître, il m’espionnait sans doute assez pour voir que je n’espionnais plus. Une fois déjà, à Sévines, il m’avait surpris, prêt à le trahir ; il avait vu sa femme à mes pieds. — Je songeai que, si je pouvais rencontrer madame dehors, j’aurais bien l’habileté de lui parler sur la portière de sa voiture sans être entendu de Joseph ; mais Roger et sa bonne, une grosse Normande très curieuse, l’accompagnaient partout. Je me mis à suivre madame dans Paris. Je n’étais pas valet de pied, je ne pouvais monter derrière sa voiture. Je prenais un cabriolet de place et le payais fort cher pour qu’il suivît son équipage ; mais elle ne faisait pas ou presque pas de visites, et c’était toujours dans des hôtels où les maîtres occupaient le rez-de-chaussée. Il n’y avait pas moyen de la rejoindre dans un escalier et de lui parler sur un palier quelconque. Elle n’allait ni chez sa couturière, ni chez sa modiste ; toutes ses fournisseuses la servaient à domicile. Aux promenades publiques, elle tenait toujours son fils par la main, et là d’ailleurs elle n’eût pas pu s’arrêter, encore moins se dérober pour parler à un valet de chambre. Un jour que je la suivais avec beau-