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FLAMARANDE.

vous avez vu à Montesparre lorsqu’il se faisait battre au billard par M. de Flamarande), m’a dit tout à l’heure avoir vu au relais de poste de Bourges, le 16 mai 1841, un voyageur qui pressait les postillons pour changer ses chevaux, et qui est remonté dans son coupé, d’où sortaient les vagissemens d’un petit enfant. Frépont se rappelle la date, qui est celle de la naissance de sa petite-nièce. Il courait au-devant du père, qui arrivait de Paris, et il regardait avec anxiété toutes les voitures et toutes les figures qu’il rencontrait. Celle du voyageur en question lui parut invraisemblable, c’est son expression, et son accent contrefait. Il assure avoir parfaitement reconnu M. Charles, le valet de chambre dévoué et gâté du comte de Flamarande, le même qui a été dans la confidence de toutes choses à Montesparre. Mon vieux Frépont affirme tellement le fait qui l’a frappé (à une époque où personne ne soupçonnait le comte), que je crois maintenant à un enlèvement. Il faut partir de là et surveiller ledit Charles, qui est toujours là et qui voyage beaucoup pour le compte de son maître. Venez à Paris sous le plus strict incognito. Ne descendez pas à votre hôtel et ne paraissez pas chez moi, car ma maison est surveillée par cet espion. J’attendrai à Paris que vous me donniez avis de votre arrivée. J’irai m’entendre avec vous à l’adresse que vous m’indiquerez. Au train dont marche la vapeur à présent, je compte que vous pouvez être revenu, au plus tard, à la fin du mois prochain. Je vous rappelle, entendez-vous, ingrat ? Et ce n’est pas pour le plaisir de vous revoir, espoir égoïste que vous ne réaliseriez pas ; je vous appelle à mon secours pour qu’à nous deux nous guérissions ce cœur brisé d’une pauvre mère dont la douleur me navre. Je ne la crois pas aussi innocente de son propre malheur qu’il vous a plu de me le dire et de me le jurer… Ne vous fâchez pas, mauvaise tête ! Qui peut douter de votre honneur ? Mais l’honneur d’un homme ne consiste-t-il pas, dans certain cas, à mentir très résolument pour sauver celui d’une femme ? Pauvre Rolande ! comment eût-elle résisté à votre passion ? Elle était si jeune, si tristement mariée, et vous aviez le cœur tellement pris, la tête tellement montée ! Quelque jour, vous m’avouerez la vraie vérité, quand vous aurez bien reconnu que je ne suis plus une rivale et ne veux connaître sa faute que pour lui en épargner les cruelles conséquences. Venez, votre sœur Berthe vous attend. »

Les lettres suivantes de Mme de Montesparre m’apprirent que Salcède avait immédiatement quitté l’Amérique, qu’elle l’avait revu, à Paris, qu’ils y avaient cherché et retrouvé les traces de la Niçoise, que Salcède l’avait découverte à Villebon et amenée non-seulement à tout avouer, mais à lui donner des preuves écrites. La chose lui avait coûté cher, mais il ne le regrettait pas. Il y eût sacrifié sa