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FLAMARANDE.

fermait le sachet, à y glisser le doigt et à y saisir parmi des feuilles desséchées une petite bande de papier roulé. En ce moment, Salcède porta machinalement la main à son trésor, il le sentit sous ses doigts et n’ouvrit pas les yeux. J’étais déjà dans l’embrasure de la fenêtre, et je lisais ces quatre mots : Veille sur notre enfant ! et au-dessous la signature Rolande. C’était bien l’écriture de Mme la comtesse ; je m’approchai de la table, je cherchai un papier à peu près semblable à celui du billet. J’y calquai très fidèlement les quatre mots, je le roulai dans mes mains pour enlever la fraîcheur du pli, et je parvins à le réintégrer dans le sachet. Je mis l’autographe dans mon portefeuille, et je descendis au salon, résolu à m’évader.

Mais attacher la corde solidement n’était pas facile, et j’entendis marcher au-dessus de moi. Salcède s’était réveillé. Il pouvait me voir en dehors de la fenêtre. Je résolus d’attendre qu’il fût sorti, et je redescendis dans le caveau. J’y restai plus d’une heure en proie aune émotion terrible. Enfin la fatigue l’emporta, et je m’endormis à mon tour si profondément que Salcède, s’il eût eu quelque soupçon, eût pu me reprendre son trésor plus facilement que je ne l’avais conquis ; mais il travaillait apparemment, il était tranquille, et je ne fus réveillé que par le bruit de la trappe qui s’ouvrait. Je m’étais blotti pour dormir de manière à n’être pas aperçu à moins d’une recherche volontaire. Je l’entendis descendre l’escalier de bois et ouvrir la porte du souterrain qu’il ne referma pas à clé. Il s’en alla sans lumière comme avait fait Ambroise.

Je laissai passer un quart d’heure. Je remontai chercher une bougie : déjà j’en avais usé plusieurs ; mais je savais que, dans un ménage de garçon sans service de femme, la consommation des objets de détail n’est guère surveillée ni remarquée. Muni d’allumettes nouvelles, je m’engageai dans le couloir secret, je suivis avec attention la ligne tracée à la craie, et je débouchai par une fente naturelle située dans les broussailles, de l’autre côté du ravin, à deux pas du sentier par où, en 1845, j’avais vu disparaître le faux meunier Simon. Là aussi il y avait à l’intérieur du tunnel une porte à serrure. M. de Salcède l’avait également laissée ouverte.

Il devait exister un troisième passage pour pénétrer à couvert dans le donjon ; mais outre que je n’avais pas le loisir de le chercher, je ne voulais nullement être vu à Flamarande, et je m’en trouvais si près que je dus gagner un bouquet de bois pour guetter le moment où je pourrais me risquer sur le chemin sans être aperçu. La faim me dévorait. Je fis comme les enfans de la montagne, je cherchai les myrtiles et les framboisiers. Tout cela était en Heurs. M. de Salcède eût fort raillé mes notions botaniques, s’il m’eût vu chercher des fruits à la fin de mai dans les montagnes froides.

Des voix d’enfans s’approchèrent. Je craignis d’être surpris et je