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FLAMARANDE.

misère. Je repoussai les dons qu’il m’offrait en cas de retraite. Il m’avait assez récompensé en m’aidant à payer les dettes de mon père. Je ne voulais rien de plus, rien surtout qui eût l’air de payer ma discrétion.

J’étais absolument décidé et j’avais pris congé de lui, ma valise était bouclée, j’allais partir, lorsque Roger entra dans ma chambre, et, se jetant à mon cou, me reprocha en sanglotant de ne plus l’aimer, puisque je voulais l’abandonner. Ne plus l’aimer ! quand ses larmes me déchiraient le cœur ! L’abandonner… quand, pour préserver son avenir, j’avais fait des choses, non pas seulement pénibles et périlleuses, mais honteuses et répugnantes ! Il fallut céder à ses prières et à ses caresses. Je retournai auprès de son père et lui demandai de me garder sans conditions. Il céda à son tour. — Vous aimez trop Roger, me dit-il, pour permettre qu’un scandale se produise autour de lui. Ne me promettez rien, j’y consens. Je mets mon fils sous la garde de votre affection pour lui et de votre respect pour l’honneur du nom qu’il porte.

Toutes choses réglées, M. de Flamarande repartit pour Londres, après avoir demandé à sa femme si elle voulait l’y accompagner ou retourner à Paris. — Il la laissait absolument maîtresse de son choix. Elle répondit qu’elle n’avait aucun choix à faire, aucun parti à prendre et qu’elle ferait ce qui lui serait ordonne par lui. Cette soumission aveugle l’embarrassa beaucoup. Il souhaitait n’avoir plus à s’occuper d’elle ; mais il ne voulait pas p traître la délaisser. — Eh bien ! lui dit-il pour terminer, allez à Paris. Le climat est meilleur pour Roger que celui de Londres ; mais, s’il vous vient le moindre désir de voir l’Angleterre, écrivez-moi, et je serai à vos ordres.

LIII

Il retourna en Angleterre, où il passa les dix dernières années de sa vie, ne venant plus que temporairement en France. Il se portait réellement mieux dans ce climat brumeux et tiède, car il semblait rajeunir. Il est vrai qu’il prenait plus de soin de sa personne, comme s’il eût craint de déplaire à quelqu’un en s’abandonnant à sa vie d’études. Le fait est qu’il était gouverné. Cet homme si absolu et si obstiné avait trouvé un maître à idées étroites, sans réflexion, avide d’amusemens frivoles, et encore plus tenace dans ses instincts qu’il ne l’était dans ses raisonnemens. Ils n’eurent heureusement pas d’enfans et menèrent une vie égoïste. Le comte allait peu dans le monde, ce n’était pas son goût, mais il recevait dans l’intimité des personnes triées par la maîtresse du logis, c’est-à-dire qu’elle éloignait toute relation sérieuse sous prétexte

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