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avec son fils, le précepteur et Mlle Hurst. Je passai l’été à Paris, souffrant, oisif et profondément dégoûté d’un service qui me créait une responsabilité sans travail et sans moyen de me rendre utile.

J’en écrivis à M. de Flamarande pour lui demander de me rendre ma liberté, que je ne pouvais reprendre moi-même après les services qu’il m’avait rendus. Il me répondit qu’il partait pour Ménouville et désirait m’y trouver, pour que j’eusse à lui expliquer les motifs de mon découragement. Je le revis donc en Normandie aux premiers jours de l’hiver. Il y venait pour remplacer son intendant, mort d’une fluxion de poitrine. Madame y était encore et l’attendait avec Roger, que je fus heureux de retrouver. La vue de cet enfant pouvait seule alléger le poids de ma tristesse.

J’avais résolu de ne jamais exposer la comtesse au courroux de son mari. Je me tins parole. Le comte ne sut pas ma course à Flamarande et ne m’adressa aucune question. Je vois, me dit-il, que vous voulez me quitter parce que l’ennui vous consume. Vous êtes une nature active et vous ne vous contentez pas d’une sinécure. Je vous offre un travail sérieux et une situation plus élevée. Remplacez ce pauvre Martin qui vient de mourir, soyez mon intendant. Je ferai avec vous le marché qui vous plaira, ou des appointemens fixes ou une part proportionnelle dans les bénéfices.

La position était bonne et nullement au-dessus de ma compétence ou de mes forces. La portion des terres environnant le château n’étant pas affermée, on l’avait gardée en régie, et la surveillance de cette exploitation m’offrait un travail agréable ; mais le comte y mit une condition à laquelle je répondis par un refus. M. de Flamarande, tout en délaissant sa femme, voulait qu’elle fat surveillée. Je ne m’occupe pas du passé, disait-il, je souhaite même qu’on ne m’en parle jamais. J’ai passé l’éponge sur cette mauvaise page du tableau. Il y a plus : que madame renoue ses relations avec la baronne, que le secret lui soit révélé, qu’elle sache où est son fils, qu’elle veuille le voir en secret, tout cela peut arriver. M. de Salcède peut revenir en France. Ils peuvent s’écrire à propos de l’enfant… Oui, je prévois toutes les éventualités, j’accepte toutes les hypothèses, excepté celle où les circonstances de ce rapprochement seraient telles que j’eusse à craindre l’intrusion d’un nouvel enfant dans ma famille. Comme cette fois j’aurais la certitude indiscutable qu’il ne m’appartiendrait pas, je désire, je veux être averti à temps pour prendre mes mesures. Je lui fis observer qu’étant fixé à Ménouville, je ne pourrais jamais savoir ce qui se passerait à Paris. Il me répondit que j’aurais ce soin à Ménouville seulement et qu’à Paris il aurait un autre surveillant. Il insista, je refusai. J’étais las jusqu’à l’écœurement du métier qu’il m’imposait. Je rougissais de m’y être prêté. J’avais à racheter ma dignité, fût-ce au prix de la