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FLAMARANDE.

— Est-ce que vous ne l’avez pas embrassée hier ?

— Ni hier, ni ce matin, ni les jours d’avant. Je l’ai bien vue couchée sur son lit avec sa grande robe blanche, mais elle regardait du côté de la muraille, et, quand je lui ai parlé, elle n’a pas bougé. Ça m’a fait peur, je me suis mis à crier ; Hélène est venue me prendre et m’a dit : — Si vous criez, vous ferez mourir votre maman, — et elle m’a donné un pantin bien drôle, ce qui m’a consolé, comme tu penses. Mais ce* matin, elle a voulu m’empêcher d’entrer, et j’ai pleuré encore ; j’ai même pleuré bien fort pour que maman entende, et pourtant elle n’a pas bougé, elle n’a pas dit : Qu’est-ce qu’il a donc ? Ne le contrariez pas. Peut-être que maman est fâchée parce que je lui fais du bruit, ou peut-être qu’elle est morte et qu’Hélène ne veut pas me le dire.

Les craintes de l’enfant se communiquèrent à moi, et je ne sus que lui répondre. Alors il se mit à sangloter et à répéter : — Maman ! je veux voir maman !

Je le conduisis à Hélène, qui le prit et l’embrassa en disant :

— Oui, oui, vous verrez maman. — Et elle me ferma brusquement la porte au visage.

J’interrogeai Paul, le valet de chambre de madame. — Je suis inquiet, lui clis-je ; si madame est sérieusement malade, mon devoir serait d’écrire à monsieur.

— Je n’en sais pas plus que vous, répondit Paul, je n’entre jamais dans la chambre de madame. C’est Hélène qui fait tout son service. Écrivez à M. le comte, si vous croyez devoir le faire ; moi, je ne me permettrai pas cela. Je sais qu’Hélène est tranquille et ne montre aucune tristesse, qu’elle amuse le petit dans le salon, et qu’il y fait grand train, chose qu’on ne lui permettrait pas, si madame était bien malade.

Je n’osais montrer mes doutes, mais j’étais convaincu que madame n’était pas dans la maison depuis huit jours, et qu’Hélène mettait un paquet de lingerie sur son lit pour simuler aux yeux de Roger une personne couchée. Pour moi, cette absence mystérieuse était un fait avéré d’inconduite. J’aurais pu écrire au mari, faire chasser la confidente. Je ne voulais pas persécuter madame. Je me tins tranquille, mais j’observai attentivement l’heure de son retour, car il fallait bien qu’elle rentrât, ce qui était plus difficile que de sortir sans être observée.

Le soir même, vers dix heures, comme je me tenais en observation, tantôt dans l’avant-cour, tantôt devant la loge, où je feignais de jouer avec le chien, je vis une femme voilée, mal vêtue, et qui paraissait courbée par l’âge, passer sans rien dire devant la loge du suisse et monter l’escalier de service du premier pavillon de droite,