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celui qu’occupait la comtesse. Je m’élançai sur ses traces. Malgré son dos voûté et sa démarche traînante, elle monta si rapidement qu’au moment de la rejoindre, je vis se refermer la porte de l’office par où elle venait d’entrer.

XLVI.

Je retournai vivement admonester le suisse pour avoir laissé monter une personne inconnue. — Je la connais très bien, répondit-il ; c’est la tante de M lle Hélène. Elle vient la voir très souvent. C’est une vieille Anglaise très honnête.

Que faire et que dire, à moins de provoquer un scandale ? J’étais pourtant sûr de mon fait ; mais quelle preuve pouvais-je invoquer ?

Le lendemain matin, Roger avait vu et embrassé sa mère ; il était gai et heureux. Le médecin fut appelé. Selon Hélène, madame se sentait beaucoup mieux et voulait demander au docteur si elle pouvait se lever et prendre l’air. Il vint, trouva sa malade guérie, ordonna une promenade en voiture, et conseilla le départ pour la campagne.

Je m’étais pris d’une apparente amitié pour le bouledogue du suisse, j’avais un prétexte pour surveiller la cour et la porte de l’hôtel. Madame sortit à une heure avec Roger, Hélène et l’abbé. Elle était fraîche comme une rose ; elle n’avait pas été malade. Pourtant, si elle s’était rendue à Flamarande, elle devait être fatiguée ; mais la joie de voir Gaston et celle de retrouver Roger l’avaient empêchée de le sentir.

Étais-je fou ou avais-je deviné juste ? Si elle a été à Flamarande, pensais-je, c’est là que je dois aller chercher la vérité. Si elle y a été seule, je l’absous ; mais si elle y a été avec Salcède, je reprends ma tâche. Je cherche une preuve et je la garde pour sauver Roger du partage qui le menace.

J’étais libre de mes actions, car, depuis que M. le comte était occupé de ses maîtresses (que je ne voulais servir en aucune façon), je n’étais plus dans sa maison qu’un fonctionnaire de luxe. Je partis donc pour l’Auvergne au moment où Mme la comtesse partait pour la Normandie. Je passai par Montesparre afin de savoir si la baronne y éiait. Dans ce cas, on pouvait supposer qu’elle avait suffi pour favoriser l’entrevue entre la comtesse et son fils. Je m’informai prudemment. La baronne était attendue. Il n’y avait encore personne chez elle.

La saison était encore fraîche le soir et le matin ; mais dans la journée le soleil donnait une douce chaleur, et le ciel d’un bleu vif, rayé de légères bandes blanches comme de l’écume, était admi-